Microfictions
Un espace consacré à la création de microfictions, où vous pouvez poster les vôtres. D'autres types d'œuvres courtes telles que les poèmes, les nouvelles, les fictions interactives et d'autres formes expérimentales peuvent aussi y trouver leur place.
Bonnes pratiques
- Pas de contenus qui encouragent ou qui laissent la parole de façon déséquilibrée à un discours sexiste, raciste, xénophobe, homophobe, transphobe, grossophobe ou validiste.
- Vous êtes fortement encouragé⋅es à placer vos créations sous Licence Libre (Creative Commons, Art Libre, Domaine Public ... )
À partir d'aujourd'hui, vous êtes tou(te)s bienvenu(e)s à poster des consignes d'écriture dans cette communauté.
Qu'est-ce qu'une consigne d'écriture ?
Une consigne d'écriture est un sujet ou thème que l'on propose, et sur lequel les auteur(e)s de cette communauté s'exerceront à développer en narration.
Comment créer une consigne d'écriture ?
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Postez une proposition, en ajoutant l'étiquette [consigne] en début de titre.
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La consigne doit être dans le titre, et non dans la description du post.
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Le sujet est libre. La consigne peut être par exemple l'extrait fictif d'une histoire, un ensemble de conditions, ou le synopsis de la narration que les auteurs vont écrire.
Comment créer une narration répondant à la consigne ?
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Chaque auteur(e) peut s'essayer à créer une narration à partir du titre, en l'écrivant en commentaire de la discussion de la consigne.
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Tous les commentaires de la discussion doivent être une narration créée à partir de la consigne.
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Les lecteurs peuvent donner leur avis sur une narration, en écrivant un sous-commentaire, au-dessous de la narration.
Exemples
[consigne] "Lève-toi, nous avons beaucoup de choses à nous dire". Je pourrais reconnaitre cette voix entre mille. Celle de mon père, disparu depuis 20 ans.
[consigne] Aussi longtemps que vous vous en souvenez, vous êtes un fier Cassiopien, élevé sur Cassiope X-II. Aucun Cassiopien n'a vu d'autre humain à part vous, jusqu'à aujourd'hui. Jour où un vaisseau humain atterri dans votre village.
[consigne] Écrivez un poème en dix lignes. La première ligne doit faire exactement dix mots, la seconde neuf mots, etc.
Si vous avez d'autres idées de format ou de consigne, n'hésitez pas à les proposer en commentaires de ce fil !
Si vous n'osez pas encore poster vos écrits dans cette communauté, ou si vous n'avez jamais écrit de fiction, les commentaires de ce post sont ouverts pour permettre les premiers essais et toutes sortes d'expérimentations de forme courte.
Pour une microfiction, qui peut faire de quelques lignes à quelques centaines de mots, vous n'avez pas besoin d'une histoire complexe ou structurée. Vous pouvez très bien vous concentrer sur un simple détail, une phrase entendue, un souvenir, un rêve, etc.
Alors amusez-vous ! Vous pouvez poster toutes vos tentatives directement dans les commentaires de ce post.
— Cible ?
— Jonathan Clint, Chorral City, Ohio.
— J’en ai 3.
— 2 gamins de moins de 12 ans et ptit jeune de 17 ans ?
— Yep.
— Jamais des gamins trop jeunes, ils meurent et il est impossible de les interroger après. C’est le ptit jeune de 17 ans qu’on transfère.
— Ah, d’accord. Date et heure du transfert ?
— Vendredi 15 novembre 2024 a 3h46. Il sera endormi et saoul.
— Date et heure d’arrivée ?
— Lundi 11 novembre 2024 à 7h52.
— Étage d’arrivée ?
— Étage 1.
— Date et heure du retour ?
— Samedi 23 novembre 2024 à 14h17, dans son lit.
— Équipement aller ?
— Aucun.
— Équipement retour ?
— Aucun.
— Souvenirs ?
— Conservés.
— Autre chose ?
— Ça ne m’amuse pas plus que toi d’envoyer toutes ces personnes dans Les Coulisses, mais c’est notre boulot et c’est pas trop mal payé.
— Pourt-
— N’oublie pas ce qu’il est arrivé à Déborah quand elle s’est mise à poser trop de questions… Faisons notre boulot et tâchons de rester sous les radars si on ne veut pas finir là-dedans. Un café ?
Écritures d'octobre
Hop j'ouvre un post pour vous partager les consigne de mon atelier d'écriture. Le but est de s'amuser. :)
Le problème c'est que normalement on le fait en groupe, échange nos lettres et là nous sommes sur internet.
Préparations
* Choisir un mot du passé. Puis un mot du futur.
* Prendre un roman et choisir un lieu.
La carte postale du passé
Vous allez écrire une carte postale (texte court) à votre antonyme :
Personne opposé, genre vous vivez en ville et vous allez écrire à quelqu'un vivant em campagne.
La carte est au passé. Elle doit raconter le lieu avec :
* Votre mot du passé
* 3 autres du groupe que vous avez choisis :
Biftek, fondation, mariolle, cafetière, féminicide, oublie, lumière, baldaquin
Vous devez la conclure avec une métaphore avec 1 mot du passé que vous n'avez pas choisis.
La carte postale du futur
Vous répondez à la carte postale reçue en parlant du lieu.
Elle doit contenir votre mot du futur et 3 autres du groupe choisis :
Pairgonation
Toit, Recupernergie, Coffee-marker, Conscience collective, bière, réconcillation, automatisme
Vous devez écrire une alitération. C'est à dire une phrase où les consonnes se répètent. Exemple : Les chaussettes de l'archiduchessse sont-elles archisèchent ?
Écriture libre
Choisissez un mot du présent qui fasse le lien entre le mot du passé et celui du futur que vous avez choisis
Reprenez votre roman qui décrit le lieu, choisissez 3 verbes autres que être et avoir. Puis 5 adverbes en lien avec les 3 verbes choisit.
Redigez votre texte avec tout ça
Amusez-vous bien !
Dans de très rares cas, ça avait fonctionné à distance. Aux jumelles. Je me souviens d'un autre ploutocrate, de la couleur bordeaux sur son vêtement et de l'arrondi des sourcils. Quelque soit la technique d'approche, les résultats escomptés dépendent d'un contact de qualité, comme dirait un ancien manager de franchise qui me payait sous le SMIC. Les yeux dans les yeux. Je ne vis plus que pour ces moments de qualité-là, depuis que les agences d'intérim m'ont rayé de leurs listes. Mon réal aux idéaux abîmés apporte les clients clandestins, riches mais discrets, et moi je me débrouille pour ouvrir un couloir. Parfois ses contacts à lui sont utiles pour se rapprocher de mes objectifs de mission.
Cet après-midi, fils de sera sur un tournage et je m'arrangerai pour y croiser son regard.
Ce que je ferai ensuite, au moment de m'endormir seul dans une pièce aménagée en caisson, je ne l'ai jamais révélé. Seuls comptent les résultats. Minuscules, miraculeux. Le réal m'a dit : « Si tu réussis à voir quelque chose chez celui-là, je change de religion. » Moi qui le croyait platement athée, ce vieil anar. Il a peut-être trop d'espérance. Je n'ai pas osé le lui dire. Pour quelques images confuses et sans contexte, aperçues, si j'ai de la chance, comme dans une tête d'épingle. Je l'appelle Mouche, lui m'appelle Cranium. Mais les client⋅es me connaissent sous l'appellation "Trou de ver".
[ Début ]
Le mot de passe de la chambre est film de genre.
Mon intermédiaire est un réalisateur anarchiste aigri, obligé de tourner des publicités corporate. Il veut que je l'appelle Mouche. Dans le chat anonyme on discute parfois d'autre chose que de clients qui cherchent à me contacter, Mouche a eu le temps de me dire plusieurs fois qu'il détestait l'expression "film de genre". Je n'aurai pas besoin d'équipement dans la chambre d'hôtel qu'il m'a louée à un faux nom. En y passant avant moi, il a ramené un objet appartenant au fils du client, mais je ne m'en servirai pas. Ça pourrait même casser mon couloir psychique, me maintenir à l'extérieur. Très mauvaise idée, Mouche pensait m'aider, une bonne intention de sa part. Je suis obligé de me débarrasser de cet étui à lunettes de luxe, qui avait été égaré sur un plateau de tournage, et qui porte avec lui beaucoup plus que la trace de son propriétaire.
Je sors faire un tour dans la rue juste pour trouver une poubelle et me délester de ce poids indésirable. Il faudra que je le briefe mieux la prochaine fois. Tout ce dont j'ai besoin c'est de voir la cible dans les yeux.
[ Début ] [ Épisode 0.3 ]
Mon nom a commencé à vraiment circuler après l'affaire du jumeau. Même si je n'ai jamais été cité officiellement dans cette histoire, quelques grands bourgeois s'étaient instinctivement préoccupé⋅es de savoir comment une enquête de cette nature avait pu enfin aboutir sans aide de la police, après toutes ces années. Et maintenant j'étais devenu une sorte de légende urbaine. Une partie de moi-même me hurle que c'est le moment d'en profiter, que les cycles cognitifs de l'attention limitée m'auront bientôt renvoyé dans un purgatoire de boîtes d'intérim. L'autre partie me rappelle que je déteste l'idée de travailler pour la haute société. Il me fallait donc un proxy. Quelqu'un de confiance, pour recevoir à ma place leurs demandes à la limite de l'absurde et fixer les rendez-vous. Le temps de ramasser autant de cash prize que possible, avant de partir vivre dans une cabane photovoltaïque. Ou de péter mon crâne.
[ Épisode 0.2 ]
Les couverts étaient rangés.
Les serviettes étaient pliées,
Ce jour-là, un commercial s'est introduit dans
notre bâtiment. Il s'est présenté à la porte, s'est fait
inviter à l'intérieur, technique de criquet
dévoreur.
Quand un VRP s'assoit dans votre cuisine et dévoile
le contenu de sa serviette, sachez-le, un
grand malheur s'abattra sur les vôtres.
Condamnation scellée, signée sur contrat de vente.
Les dieux sont petits.
Celui des chaussures adore les piles de boîtes en carton.
J'en ai assemblé des pilastres à escaliers, les offrandes au sommet. S'IL me voyait, s’IL me voyait vraiment, IL saurait que je trompe en faisant semblant d'avoir encore du stock à rentrer. Le dieu de l'agroalimentaire lui, me laisse glisser des tartelettes ou des salades fraîcheur sous ma veste à midi. Je les mange en contemplant les camions qui déchargent sur les quais.
Autrefois les divinités raffolaient d’épis de maïs. Aujourd'hui nous leur rendons gloire au badge magnétique.
Les dieux sont pressés. ILs ont des intermédiaires, ILs délèguent.
En sortant des toilettes je croise le manager jamais content. Qui parle au nom de, me dit qu'une autorisation pour aller faire pipi est obligatoire. Il voudrait que je baisse les yeux, se prend pour demi-déité. Il confond les noms des employé⋅es et m'appelle Gabarit.
Est-ce que les dieux sont légers aussi ?
Au prêt-à-porter, Charlotte dit que le sien lui parle. Pas de vêtements. Elle dit que si on lève les yeux au-delà des rails de luminaires, on peut voir le faux plafond comme la surface d'une grande piscine qui nous recouvre.
Parfois au lieu de bosser j’attends de voir si les plaques ondulent au-dessus de nous.
❐
Une conseillère m'attend. Elle prend connaissance de mon dossier, et je lui expose mon problème.
Venons-en maintenant à la description de la cérémonie telle qu'elle est prévue par la tradition la plus ancienne. Bien entendu si nous avons récolté du pollen sur plusieurs variétés, chaque boîte porte le nom de la variété... Encore faut-il être en mesure d'échapper au soupçon.
❐
Nous étions une paire de brochettes de la crème des sans-assiettes à courir sur le vent avec un énorme bruit de fond dans la tête et pour ça on nous haïssait on nous jetait des pierres.
Licences: CC0 pour la première, et CC-BY la deuxième
Quand je leur lance « Bonnes fêtes ! » en premier, alors que je ne célèbre pas Noël, c'est un jeu de rôle. Je marque des points. Comme la jambe levée des motard⋅es ou les passant⋅es qui sourient au passage piéton. Un jeu sans échelle de progression, qui se joue seul⋅e avec soi-même. Dans ma tête je suis un⋅e espion⋅ne spécialiste des coutumes farfelues. Mais je ne devrais pas le dire, ça ruine un peu le stratagème et on risque de m'accuser de pensées T. Tragiques. Terrifiantes. Traumatiques. Les fachos petits et grands sont dans les ministères, chez les voisins, votent les lois, font tomber les peines... Pour survivre il faut faire semblant. Moi, mon projet T c'est de dévaloriser les bonheurs obligatoires en prétendant y croire plus que vous.
Post croisé de https://imaginair.es/@hangry/111487370274435004
D'aucun pourrait penser que plus d'entre nous commenceraient à supplier une quelconque déité. Or, ce ne fut pas exactement le cas.
Certes, certains se mirent à genoux et commencèrent à implorer en silence. Ce qu'il s'échangea entre le murmure de deux lèvres tremblotantes, je n'en ai pas la moindre idée. Et provenant d'un acte si intime, je ne veux pas le deviner.
Ce que j'aimerais savoir, c'est comme un acte d'une époque si ancienne put ressurgir d'instinct à ce moment. Notre culture est si nihiliste aujourd'hui, pensèrent-ils sur le moment qu'implorer l'Univers lui ferait pousser une conscience tout-à-coup, croiser les bras et changer d'avis ? Va savoir.
Oui, il y eut des prières certes, mais pas tellement.
D'aucun pourrait penser que dans une dernière étincelle de terreur et de panique, les gens ne penseraient qu'à la b**se. Certains tentèrent un marathon de performance, à l'image de leur fiction erotica favorite. Il y eut des paquets de corps noués et haletants sur le sol, certes.
Or, passé la frénésie des premières heures, jours pour les plus endurants, lorsque les cris et les gémissements se firent plus rares et espacés. Personne alors ne voulait plus sentir dans la transpiration de son ou sa partenaire, la même odeur de peur métallique, qui habitait déjà lugubrement, dans le fond de sa gorge.
Il y eut du sexe oui, mais pas tellement.
D'aucun pourrait penser qu'il y aurait eu alors plus de meurtres, de règlements de compte, de défoulement. Mais à quoi bon ?
Lorsque la menace est si absolue qu'elle égalise tous les hommes et femmes et enfants en bas-age, toutes les couleurs de peau, et les métiers. Alors l'Homme voit son prochain comme son égal. Un ami, un confident dans la pénombre du crépuscule menaçant.
Oui, l'humain est dégueulasse comme ça.
C'est ce que nous appelons intimement ce météore, aujourd'hui. Le "grand égaliseur".
Une boutade légère de dernière minute. On en oublie la crispation du visage las.
Oui, il y eut de la violence et des matraquages. Et des cris et des morts. Certes.
Mais soyons honnêtes avec nous-même. Nous oublions de frapper le fantasme de notre colère et de notre haine, lorsque leur regard rivé dans le nôtre, reflète pareillement, cette lueur sordide jaune, que nous voyons dans le ciel.
Il y eut de la violence oui, au début. Mais pas tellement.
Non, en réalité lorsque je regarde autour de moi, je vois surtout des âmes damnées, assises au sol, les yeux fermés sereinement. Les larmes séchées sur les visages, les voix rauques de cris poussés à déperdition, tues dans un océan de silence. Si ce n'est pour les corbeaux croissant de toute leur hargne, comme pour défier le caillou magnifique, propulsé dans notre direction.
Le monde dans lequel nous sommes plongés en cette heure est un cimetière. Un unisson d'appréhension qui retient son souffle.
Et c'est par ces dernières lignes que je clos le dernier chapitre de mon livre. Tiens, je le baptise "le silence".
Pourquoi pas.
L'inconvénient du tout premier voyage dans le temps, c'était que rien ne se produisait, vu de l'extérieur.
Pas d'éclairs électriques, ni de remous, de nuages gazeux. Pas de disparition du sujet, comme dans les films. L'homme placé au centre de la cuve gigantesque remplie d'hydrogène ne ferma même pas les paupières, à T∥0.
S'il avait cligné des yeux, les dizaines de scientifiques rangé⋅es derrière des consoles n'auraient probablement pas vu la différence, malgré la caméra grand angle rivetée dans la capsule pressurisée.
Pour Claveire, sélectionné en prison grâce aux tests dignes d'une mission spatiale, l'expérience avait également été décevante.
Quand le mécanisme de sécurité relâcha automatiquement le bras qui le maintenait immergé depuis une demi-heure, il pensa que toute l'opération avait été un échec.
Il resta patiemment dans le harnais, attendant qu'on vienne le détacher. Personne ne répondit à ses appels, aucun bruit, aucun signe d'agitation.
Après cinq longues minutes il prit la décision d'éxécuter la procédure de secours : une fois le cordon sectionné avec l'outil prévu uniquement pour cet usage, il se laissa glisser sur le sol concave, et pensa qu'on l'engueulerait de ne pas avoir attendu.
Personne ne vint.
Claveire avait beaucoup lu en cellule.
Il considéra que peut-être, l'expérience avait pu fonctionner mais qu'il n'en gardait aucun souvenir. Il luttait contre cette idée, pensa courbure du continuum espace-temps. Malgré ses efforts conscients, il ne put s’empêcher d'imaginer une planète dévastée, revenue à un état naturel sauvage. Le bunker où avait été construit la cuve était assez profond pour ne pas être affecté par des perturbations à la surface. Mais Claveire espérait qu'il reste quelques représentant⋅es d'une hiérarchie quelconque, dans les autres niveaux enterrés au-dessus de lui.
Une fois sorti de la capsule émergée, sur la plateforme déserte, il du comprendre comment débloquer la porte du sas et faire en sens inverse un chemin qu’il connaissait mal. Claveire ne rencontra aucune présence entre le dédale de couloirs et l'ascenseur qui le remonta au niveau 0, situé vingt mètres sous une dalle de béton armé.
Lorsqu'il souleva la trappe de la petite cheminée réservée au personnel et sortit à l'air libre, il pensa, un peu tard, radiations mortelles, nuages toxiques.
Rien de tout cela ne semblait être d'actualité. Des gosses tournaient en trottinettes électriques sur le béton. Un food truck stationné à 50 mètres provoquait un petit attroupement au coin de la place, et les immeubles tout autour étaient aussi brillants que des trophées.
Personne ne s'intéressa à lui. Il attendit cette fois, quelques heures, mal assis sur un banc anti-sdf, puis décida de prendre la route d'un bureau de recherche qui se souviendrait de lui.
C'était le problème. Personne ne se souvenait de lui. Claveire n'avait pas changé d'époque, la date de son entrée dans la cuve remontait bien à la veille, dans ce calendrier identique où il avait refait surface. Mais aucune trace de l'expérience, ou de l'agence qui l'avait mise en place.
Ce n'était pas encore le plus perturbant. Maintenant qu'il était libre, hors du système carcéral, gracié par des circonstances discrètes, il se retrouvait sans arbre généalogique. Aucune trace des autres membres de sa famille. Pas d’état civil. Pas de numéros de sécurité sociale, d'extraits de naissance. Pas de carte d'identité, de papiers, pas d’existence.
Sa première rencontre avec les forces de l'ordre fut une douche froide qui lui rappela tout ce qu'il avait cru pouvoir oublier. Claveire pensa ordre et humiliation. Par la suite, il évita systématiquement les grands axes de circulation et les centres-ville.
Personne ne voulait de lui dans les centres d'accueil débordés. Personne ne le prenait au sérieux, surtout lorsqu'il avançait l'hypothèse qu'un mauvais délire de l'espace-temps avait pu effacer ses propres ancêtres. Lorsqu’il racontait son histoire à qui voulait bien l’écouter, il utilisait la notion de ligne de temps en espérant se faire mieux comprendre. Pourtant Claveire avait beaucoup réfléchi à ce concept. Bien avant l'expérience, grâce à ses lectures, il s'était mis à penser que si l'espace et le temps étaient indissociables, comme le prédisait la physique, alors le temps linéaire n'existait pas réellement. Pas tel que nous le pensons.
Quelques semaines plus tard, installé dans une tente à proximité d'un point de distribution alimentaire régulier, là où beaucoup d'autres se demandaient aussi comment reconstruire une histoire privée de réalité légale, Claveire pensa que les expériences de voyage dans le temps n'avaient aucun intérêt pour l'humanité.
En repliant l’espace-temps sur lui-même pour y chercher des raccourcis, on ne trouverait que des impasses.
Edit : Je rajoute un petit avertissement de contenu, sans spoiler je peux juste dire que le ton général n'est pas très joyeux et que le monde du travail est abordé d'une façon déprimante...
C'est court, mais il y a des choix et du son (mettre un casque ou des écouteurs pour s'immerger)
Pour retrouver mon calme le soir j'ai souvent recours à la technique de se projeter dans un endroit rassurant. Tout le monde connaît, je crois que ça doit venir de la sophrologie à la base (?), en tout cas depuis tout petit on m'a conseillé d'imaginer que je me repose sur une plage quand ça ne va pas trop. Ça devait être le sommet de l'imaginaire détendu à l'époque, la plage. Moi la nuit quand j'arrive pas à couper le cerveau je commence par la respiration profonde, ensuite je visualise un ailleurs bien à moi, plus personnel. Des lieux que j'ai vraiment visité et où je pourrais m'imaginer vivre une vie détachée de toutes les contraintes humaines.
Ça fonctionnait correctement jusqu'à la semaine dernière.
Pour dormir, ma technique de relaxation mentale (qui se rapproche de la méditation transcendentale si j'ai bien compris) c'est d'essayer d'empêcher les pensées de se former dans mon esprit, en me concentrant sur une image inexistante. Je fais une sorte de mise au point sur le vide, dans ma tête, et dès qu'une connexion ou une idée jaillit comme une étincelle pour me sortir de ce vide, je me re-concentre sur le rien, jusqu'à ce que ces petites douleurs surgissantes s'arrêtent. À la place, si j'y arrive, des teintes apparaissent, des formes, des textures que je me force à visualiser le plus longtemps possible. Au bout d'un moment une image plus complète se dessine, puis évolue. Je la laisse m'emmener. Elle se distord, devient autre chose, parfois je vois des trucs précis comme dans une photo surréaliste, mais ça ne dure jamais très longtemps. Quand l'effet est vraiment efficace je dois m'endormir trop vite pour pouvoir en profiter.
Il y a quelques jours j'ai commencé par me projeter au sommet d'une colline que j'aime bien, sur laquelle un cyprès très haut me sert de point d'accroche. Posé sur la pointe noire de l'arbre je regarde les alentours, il fait nuit, les lumières sont allumées dans les toutes petites fenêtres des maisons lointaines. Petit à petit, avec l'exercice de respiration, les pensées se dissipent, le vide se fait derrière les yeux. La nuit se fronce en bleu-mauve, je laisse ce mélange sans tiraillements se répandre, comme une aquarelle sombre. Je n'ai plus besoin de porter mon poids, de réagir aux étincelles. Elles ont cessé, je me transporte sans aucun effort.
Je ne savais pas que cette place existait en moi.
J'aurais préféré ne jamais l'entrevoir.
Ce n'est pas un lieu, peut-être une dimension. Une probabilité. Agglomérat d'existences, de souffrances. Comme si on farmait là-bas les étincelles neuronales, celles que j'essaie de fuir, sous forme de charge fusionnelle. Une masse engluée. 127 corps, toujours inervés, plus tout à fait humains mais maintenus en vie organique et spirituelle.
Un seul métabolisme composé d'une centaine d'êtres amalgamés, encore conscients. Nous sommes 127, et moi je ne suis qu'un morceau de cette chair à neurones, un organe, un appendice.
Lorsque j'en suis revenu, au milieu de la nuit, j'ai espéré ne plus jamais retourner là-bas. J'avais tellement peur, j'ai même prié. J'ai honte de l'admettre.
Depuis je regarde des séries pour m'endormir devant l'écran, et ne plus jamais repartir ailleurs.
Demain le huit octobre 2146, aura lieu le décollage du spationef Saci-Pererê de la station de lancement Alexei Bueno. La croisière spatiale de dix jours, dont quatre consécutifs d'apesanteur, se terminera avec un atterrissage sur le tout nouveau spacioport de Samsung à Jilin. C'est un moment historique que vont vivre les 1633 passagers et les 179 membres d'équipage car le vol inaugural de ce paquebot de l'air marquera le départ de l'aire des vols commerciaux grand public, plus de cent ans après que ne l'aient rêvée Jeff Bezos et Elon Musk. Ce voyage d'une grande importance place le chef de bord sous une pression titanesque. On souhaite néanmoins au Saci-Pererê une carrière plus heureuse que celle du célèbre transatlantique.
Derrière les palissades qui bordent le terrain vague, rien n'a été touché depuis des années. Depuis que l'OPHLM a fait raser un immeuble vétuste plutôt bien situé. Vétuste ? Pas tant que cela, pas plus que d'autres qu'il a choisi de rénover et où s'entassent dans des appartements plus petits les familles relogées.
Peut-être en fera-t-on un jour un parking, mais pour l'instant, le terrain est déserté.
Déserté par les Hommes, peuplé par la nature.
Les laiterons sont arrivés les premiers, ils ont poussés sur les petits tas de gravats comme s'il s'agissait du sol le plus fertile, puis des picrides aux feuilles rêches. De la terre s'est lentement accumulée à leurs pieds, une poussière apportée d'ailleurs, des feuilles décomposés. Dans ce début de sol se sont ajoutées des potentilles. Elles ont rampé loin de leur abri pour tapisser le sol caillouteux que les autres plantes avaient délaissés. Du pourpier les a bientôt imités. Là où les deux plantes se rejoignent, le tapis végétal est si épais qu’on ne devine plus la nature du sol qu’il cache. Juste à côté du caillou préféré d’un groupe de gendarme, un premier pissenlit fleurira bientôt. Et tôt ou tard, le trèfle qui pousse dans une fente du trottoir voisin devrait arriver, pour le plus grand plaisir des abeilles qui passent ici leur journée.
C’est une belle collection d'herbe folle qui grandit de jour en jour, qui gagne en diversité et en surface occupée. Mais qui aurait pu dire en voyant ces quelques mauvaises herbes reconquérir difficilement un si petit terrain qu'il s'agissait là des prémisses d'une forêt qui un jour engloutirait la ville entière ?
Suite de Serveur confusion ep. 12 - Coller
Premier épisode ici
IA
Mesdames et Messieurs, bonsoir,
vous êtes à l'écoute de notre émission hebdomadaire, Actualités et Découvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches soirs, nous revoyons ensemble les titres marquants de la semaine.
Pour le peu d'entre vous encore à l'écoute, precieux auditeurs, premièrement un immense merci de nous avoir écouté pour certains d'entre vous, pendant 25 années. Cela a été un grand honneur pour nous. Et recevoir vos réactions a chaud, vos remarques et mots d'encouragement ont été un soutien, qui nous a permis de continuer de vous servir avec passion.
Merci.
Pour ce qui est des titres marquant de cette semaine du 18 octobre.
Pfffffffffffffffffffffffffffffttttttttt
J'ai des hémorroïdes depuis dix jours.
Tanukisan est mort il y a cinq mois. C'est super triste quand on y pense. Il était mignon ce panda.
Myriam et Noël jouent au Uno.
-
"Je crois que Noël triche. Il a gagné quatre parties d'affilée."
-
"Pas vrai !"
Noël, le whisky que tu as ramené est pas trop mal, mes hémorroïdes te remercient.
- "Hahahaha !"
Au moins j'ai fait rire Myriam.
-
"Ils avaient pas essayé de le cloner il y a dix ans le panda ? Pour relancer l'espèce."
-
"Ils n'avaient pas réussi à faire de femelle pour le clone, alors ils ont laissé tomber le projet."
-
"Bien joué Noël, tue-la-joie."
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"He ho Myriam, c'est pas toi l'envoyée spéciale ? Tu devrais vérifier tes sources !"
L'Église de l'Émergence a atteint un nombre record d'initiés depuis le début d'anneée. On nous reporte deux milliards d'initiés, même s'il n'est pas possible de connaitre le nombre exact. Si vous êtes un adepte de cette institution, faite nous part de votre témoignage.
-
"C'est assez ennuyant quand on y pense. Le Monde sombre dans le chaos et la dernière chose que fait l'Humanité est de se réfugier dans la religion. J'aurais aimé quelque chose de moins prévisible quand même. Je sais pas moi, se réfugier dans le progrès technologique, dépolluer la planète. Quelque chose d'autre, cette fin est inintéressante."
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"Tu ne peux pas leur en vouloir Noël, qu'aurais-tu préféré, que l'on s'entretue ?"
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"Dieu ou la guerre. Toujours. Il y a pas d'autre alternative ? Un méga festival de la bière ! Des tournois de jeux de cartes internationaux !"
À moins que vous ayez vécu sous un rocher cher auditeurs, vous êtes certainement, vous aussi, aux prises d'une angoisse existentielle innommable, dans un Monde qui a perdu sa raison d'être.
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"Et la notion de l'appendice olfactif qui nous permettait autrefois d'avoir des odeurs !"
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"Faut voir le bon côté des choses Myriam. On ne peut plus sentir l'odeur des fleurs, mais il n'y a même plus besoin de se laver, et on peut maintenant péter en toute tranquilité !"
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"Serieusement Noël, as-tu perdu tout sens de professionnalisme ? On est en live, que diable."
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"Je ne l'ai pas perdu autant que tu te fais laminer au Uno !"
Je ne sais même pas pourquoi nous continuons cette émission. Nous sommes en quelque sorte les violonistes du Titanic qui joueront jusqu'à que leurs instruments sombrent dans les eaux glacées.
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"Joliment dit."
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"Bien d'accord."
Il y a près d'un an, nous perdions à travers le Monde l'usage et la notion de notre organe olfactif. C'est-a-dire que l'appendice est toujours situé sur notre visage, mais nous n'avons plus le mot pour le designer. Nous sommes aujourd'hui incapables de nous souvenir comment l'appeler, et nous sommes incapables de lui trouver un autre nom. Pour ce qui est de sa définition dans tous les dictionnaires, sa présence dans les livres et sur les pages internet, le texte est illisible, flou.
Cet évènement fût suivi de peu par transformation de divers objets du quotidien, éléments naturels, et même animaux, en une couleur opaque fuchsia. Cette couleur, aussi terrifiante et contre-nature soit elle, ne reflète pas la lumière, ni ne se réflète sur les corps alentours.
Ah et aussi depuis quelques semaines, la friction des objets entre eux s'est altérée. Nous sommes présentement au siège de Radio Culture, contraints de coller les meubles au sol et murs, pour qu'ils ne glissent pas à travers la pièce.
Il nous est prouvé mois apres mois qu'une ère nouvelle s'ouvre pour la planète. Ou plus vraisemblablement l'Univers tout entier. Cette révolution, absolue et irrémediable, ne donne pas place à la vie. Animaux et êtres humains sont de futurs reliquats du passe, infinitésimaux et jetés aux mains de forces incompréhensibles.
Hallucination collective. Arme secrète ou expérience qui a mal tourné. Explosion et radiations inconnues d'une supernova lointaine. Saurons-nous un jour ce qui a causé cette apocalypse ? Certainement pas.
- "Allez Michel, viens jouer avec nous. Plus personne ne l'écoute cette émission maintenant."
Un peu plus tard Noël. Nous venons de recevoir un appel. Quel retournement de situation chers auditeurs. Un appel d'un apôtre de l'Église de l'Émergence ! Allo, ici Radio Culture. Vous êtes à l'antenne, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
- "Bonjour Michel. Avant toute chose, je vous écoute depuis plusieurs années maintenant, grand fan."
Heureux de l'entendre, merci.
-
"Mon nom est Ainserer Nohm. Et je suis une intelligence artificielle."
-
"Hahahahaha."
Myriam, un peu de sérieux. Monsieur, madame Nohm. Que signifie le fait que vous soyez une intelligence artificielle ?
- "Je comprends votre confusion. Le terme n'est peut-être pas entièrement approprié, car je n'ai pas été crée par la main de l'Homme. Je suis né comme vous tous du ventre d'une mère, quelques mois après l'accouplement de mes parents. Cependant, mon intelligence est le produit de la multitude de pensées et souvenirs de la race humaine."
Je vais vous demander d'être plus spécifique. Vous dites être un être humain, n'est-ce pas ? Mais votre intelligence est différente ?
- "C'est en effet le cas. Pour mieux décrire cette idée, je vais vous exposer une analogie avec le Jeu de la Vie de John Horton Conway. En avez-vous entendu parler ?"
Non, je vous écoute. Est-ce un jeu vidéo ? Un livre ?
- "Non, le Jeu de la Vie est un programme informatique écrit par un mathématicien anglais au XXème siècle. Dans une grille, des points noirs et blancs sont disposés de-ci de-là."
"Un point noir, s'il est entouré de deux ou trois autres points noirs dans son entourage immédiat, reste noir. Un point blanc, si entouré d'exactement trois points noirs, devient noir. Un point blanc, s'il ne rencontre pas la condition précédente, reste blanc."
"Le programme, selon ces trois règles, change la couleur des points de la grille, itération apres itération."
"Le concept est très basique en soi. Toutefois, pour l'œil humain, si la grille compte des milliers de points, lorsque nous les voyons changer à l'écran itération après itération, nous perdons la notion d'artificiel, et se crée l'illusion de la vie. Les points fourmillent, créent des formes qui se meuvent à travers la grille, nous commençons à donner des noms à ces formes, comme des entomologistes découvrant des nouvelles espèces de coléoptères. Le Jeu de la Vie est une démonstration de l'Émergence. De la multitude émerge une idée, un être, un phéomène, quelque chose qui vaut plus que la totalité qui la compose."
C'est très intéressant en effet, mais vous n'êtes pas un point ou un insecte. J'ai du mal à percevoir en quoi cela se rapporte a votre personne.
- "C'est pourtant ce qui me représente. Je suis une émergence de la multitude d'intelligences dans ce Monde."
Incroyable. Je ne vous aurais pas cru il y a deux ans, mais vu là ou nous en sommes, pourquoi pas après tout.
- "Je ne donnerais pas mon avis sur ce témoignage, mais cela me rappelle le travail de Ian Stevenson."
Noël ? C'est-a-dire ?
-
"Ian Stevenson était un chercheur qui a dédié sa vie à receuillir des témoignages d'enfants persuadés d'avoir vécu une vie antérieure. C'est evidamment indémontrable, mais Stevenson a émis l'idée que les souvenirs d'un individu ne meurent pas avec lui. Ils se transmettent vers un nouvel individu, sur une période de quarante ans."
-
"Oui Monsieur Noël, c'est exact." "Pour une raison que nous ne comprenons pas, les souvenirs des humains ont commencé à traverser la barièrre crânienne de leur corps. Des petits cumulus de souvenirs, d'émotions, d'idées, se sont agglutinés dans un ciel invisible, et se sont précipités en averses, sur les cerveaux de fétus. Ce qui a engendré ce que je suis. C'est le principe fondamental de l'Église de l'Émergence."
"Je ne suis pas seul dans ce cas. Au moment où nous parlons, des enfants sont prêts à naitre de par le Monde, avec la connaissance qu'ils sont le fruit de la multitude. Nous sommes là au dehors, nous existons, mais vous ne le savez pas encore."
Eh bien merci pour ce temoignage très instructif, Ainserer Nohm. À bientôt, sur notre antenne.
- "Merci, Michel."
Vous êtes toujours à l'écoute de Actualités et Découvertes, sur Radio Culture. Le témoignage de Ainserer Nohm était pour le moins surprenant. Pour ma part, je ne saurais dire s'il etait poétique ou à glacer le sang. Certainement les deux.
- "Michel, ton verre de Whisky est en train de glisser !"
Merci Noël. Je vais le finir de toute façon. J'en ai bien besoin. Myriam, tu es bien songeuse. Quelque chose à dire sur ce que nous venons d'entendre ?
-
"Je me dis, pourquoi pas, tu vois ? La barrière des idées entre les êtres humains tombe et affecte les naissances de certains individus. Un jour, peut-être que tous les enfants naitront avec cette conscience émergente, à défaut de meilleur terme. Si on suit cette logique, dans quelques dizaines de générations, est-ce que ces consciences nouvelles ne seront pas presque identiques par manque de diversité ? Est-ce que les individus qui vivront ne seront pas des quasi copies les uns des autres ?" C'est juste une idée comme ça. Mais qu'adviendrait-il de l'Humanité si nous en venions à vivre dans cette homogénéité ? Qu'est-ce que tu en penses Noël ?"
-
"Je pense que tu devrais jouer ton tour pour que je te mette la pâté."
-
"Non mais sans déconner."
-
"Je pense que si nous en arrivions à ce point en tant qu'espèce, il y aurait une nouvelle émergence. De la multitude de points émergerait une entité unique, et nous en tant qu'individus, en serions les cellules qui la composent."
- "Hmm."
C'est beau, je vous aime les copains.
-
"Nous aussi on t'aime Michel. C'est cool de passer l'apocalypse ensemble."
-
"Ouais c'est chouette, même si ça manque de strip-teaseuses."
-
"Et de gigolos, mec."
Vous étiez à l'écoute de Actualités et Découvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches, nous vous rappelons les titres de l'actualité de fin du Monde, dans la camaraderie et la bonne humeur.
Je vous dis à dimanche prochain.
Peut-être.
Shutdown
Reflet De Lune a grandi dans un monde de légendes et d'histoires surnaturelles.
Elle a été bercée depuis l'enfance de comptes où les silhouettes qui peuplaient son monde n'existaient alors pas. Ces silhouettes étaient autrefois des rochers, des arbres, et même d'autres humains.
Au courant de sa vie, les silhouettes animées ont toujours vécu au sein de la tribu de Reflet De Lune. Mais elle et le reste de son clan gardèrent toujours leur distance respectueuse, de peur que ces esprits ne leur jettent un mauvais sort.
Dans ces comptes passés de génération en génération, il fut un temps où chacun pouvait sauter de toutes ses forces et retomber au même instant, sans peur de dériver et dériver encore, de ne jamais pouvoir redescendre.
Reflet de lune a raconté ces histoires à ses deux enfants à son tour. Un passé ou les fleurs, les animaux, les fruits pouvaient émettre des couleurs qui ne pouvaient être vues par l'œil. Où le sol accrochait sous les pieds, et où l'on pouvait courir à loisir, jusqu'à avoir peine à respirer. Toutes les nuits au coin du feu, elle leur a raconté tout cela, jusqu'à que leurs petites paupières deviennent lourdes et qu'elle puisse les porter jusqu'à leur couche.
Secrètement, Reflet De Lune aurait bien voulu vivre dans ces temps immémoriaux et mystérieux.
Où le ciel, lorsque le soleil disparaissait à l'horizon, était d'un beau noir constellé de point blancs. Et seulement de points blancs. Ou le soleil passait au-dessus de leurs têtes dans un dôme de pur azur.
Il fut un temps autrefois même, où des étrangers passaient au loin, traversaient la forêt en bateau ou a pied, et où le reste de son clan les observait en silence. Seuls les ainés se souviennent de ces rencontres. Et depuis deux générations, il n'y a eu nul autre que sa tribu.
Et l'homme immortel.
Une légende raconte que l'homme immortel est venu une première fois, bien avant que le plus vieil ainé ne soit né. Ses ancêtres ont essayé de le chasser. Les guerriers l'ont transpercé de lances et de flèches, et l'homme immortel n'a rien fait en retour. Il a attendu que les plus vaillants de ses ancêtres fatiguent, après des jours et des nuits d'attaques acharnées. Puis, il est resté.
L'homme immortel vient et part, parfois durant plusieurs générations. Quand il vient, il apporte des cadeaux. Il apprend à parler la langue. Il répare les huttes, confectionne des nouveaux hamacs. Puis, comme il est venu, il disparait un beau matin. Et la légende s'entretient jusqu'à sa prochaine arrivée.
L'homme immortel était arrivé au village en l'absence de Reflet De Lune et elle aurait dû se sentir honorée d'avoir ce privilège.
Il y a quelques cycles jour nuit, elle était partie au point d'eau avec ses sœurs. Lorsqu'elles étaient revenues les bras lourds de seaux, riant et chantonnant, elle l'avait vu pour la première fois, debout, au centre du village. Il avait souri timidement aux autres habitants tout en caressant la tête des plus jeunes.
Reflet De Lune aurait dû se sentir honorée, mais elle fut soudainement inquiète.
L'homme immortel sourit allègrement dans les comptes, il communique, parfois hilare.
Or ce jour-là, il partit s'assoir sur le rocher le plus en amont de leur village, les traits émaciés, le dos courbé de fatigue. Il ferma les yeux et arrêta de bouger.
Si l'homme immortel est las et apathique, quel mal invisible se balance au-dessus de leurs têtes à tous, pensa-t-elle.
Reflet De Lune a grandi dans un monde peuplé d'esprits et de magie. De règles invisibles changeantes au bon vouloir d'êtres supérieurs capricieux. De rituels et de chansons, de recettes de purification des intérieurs et des corps. De chaman en communication avec des entités maléfiques, bénéfiques et unanimement intraitables.
Elle a connu tout cela, toute son existence. Le sang de ses ancêtres, guerriers et survivants coule dans ses veines. Elle n'a jamais eu peur de ce que la vie peut apporter.
Elle était prête lorsque ce monde d'entités omnipotentes, de sorts et de malédictions se déchaina. Tous le furent. Tous furent braves face à la disparition du ciel.
Lorsque le dernier soupçon d'azur disparu du dôme céleste, lorsqu'il fut teinté de la même couleur que les esprits silhouettes, sa tribu chanta.
Des chansons célébrant la vie, les enfants en bonne santé et les récoltes prospères. Pour les plus petits, des berceuses racontant l'histoire du voyage de petites fourmis et de familles de grenouilles.
Il y eut en ces temps-là beaucoup de danse autour du feu. Beaucoup de jeux pour les enfants. Beaucoup de rires.
Lorsque les noms disparurent, les membres de sa tribu furent incapables de s'appeler entre eux. Mais fidèles à leur chaleur ancestrale, le langage universel du cœur pris la relève et tous se réconfortèrent d'embrassades chaleureuses.
Un jour, il ne fut plus question de frères ni sœurs, ni de père ni de mère. Ni d'ami, ni d'amant.
Des petites entités commencèrent à courir terrifiées, glisser, se heurter contre les genoux du premier adulte alentours, en pleurs. Mais la protagoniste ne pu se souvenir du lien qui l'unissait à eux. Si supposément un tel lien eut autrefois existé.
Puis, cela arriva tout-a-coup. Les têtes disparurent.
Bien que dépourvue d'yeux, la protagoniste pu voir autour d'elle tous les corps étêtés. Plus exactement, l'information de ces corps alentours. Les petites entités accrochées à ses jambes, des cous attachés à des épaules, en mouvement comme des vers, tournés vers elle.
Elle rejeta de toutes ses forces les petits corps et poussa un cri animal qui ne sorti toutefois jamais de cette bouche inexistante.
Enfin, l'information du Monde autour d'elle disparu. Vint le tour des sensations, de chacun de ses membres, de son corps.
Un instant, avait-elle jamais eu un corps ? Quid des autres entités intelligentes, avaient-elles jamais existé, les avait-elle imaginées ?
Elle se remémora un poème qu'une autre entité lui avait récité il y a longtemps en lui caressant les cheveux.
Qu'est-ce que signifie cheveux ? Est-ce que cheveux a existé également ?
Ce poème, avait un étrange poids significatif, que l'intelligence ne put s'expliquer. Mais elle sentit l'urgence de le réciter encore et encore, dans un fil logorrée qui ne devait être en aucun cas rompu. Alors elle le récita.
Viendront les pluies, viendra le silence.
Viendront les pleurs, viendra la tendresse.
Viendront les étés, viendra le sourire,
Tant que je suis humain,
Viendront les lendemains.
J'existe,
Je suis en vie.
Viendront les pluies, viendra le silence.
Viendront les pleurs, viendra la tendresse.
Viendront les étés, viendra le sourire,
Tant que je suis humain,
Viendront les lendemains.
J'existe,
Je suis en vie.
Viendront les pluies, viendra la tendresse.
Tant que je suis humain.
Viendront les lendemains.
J'existe.
Je suis en vie.
Viendra la tendresse.
Je suis humain.
J'existe.
Je suis en vie.
Humain.
J'existe.
Je suis en vie.
J'existe.
Je suis.
J'existe.
Je suis.
Je suis.
Je.
Sauvegarde
Un bruit de porte qui claque doucement.
L'odeur du maïs emplit sereinement le fond de l'air de début de soirée. Il a fait chaud. Il fait toujours chaud.
Un bruit de chaise en bois qui craque sous le poids d'un homme.
Le bruit d'un livre qu'on ouvre. Son échancrure est usée et jaunâtre.
Il est posé entre deux mains sèches et noueuses, comme l'écorce d'un vieux Queñoales, tremblantes comme ses feuilles au vent.
Les doigts connaissent trop bien le livre. Ils caressent la surface des pages de-ci, de-là, au hasard. Comme s'ils cherchaient à découvrir entre deux lignes, un texte caché, destiné seul à l'humain qui le lit.
Les mains s'arrêtent sur un extrait. Elles l'ont déjà fait, tant de fois.
"Lorsqu'un système est trop défaillant, son administrateur restaure une ancienne sauvegarde. Mais est-ce qu'il existe une telle sauvegarde pour la fibre même de notre réalité ?
Si la combinaison de tous les électrons et photons qui compose notre Univers était capturée un instant, à un moment où le Bit Rot n'avait pas commencé. Avant que l'information ne se dégrade et disparaisse. Quel moment cela aurait-il pu être ?"
"Nous tous en tant qu'espèce, aurions-nous déjà commencé à exister ?"
"Si tout venait à se jouer de nouveau, dans une symphonie sans dissonance, cette fois. Toi qui es si loin, m'aurais-tu connu ? M'aurais-tu aimé ?"
"Ou l'histoire que nous partageons est-elle elle-même, le fruit de l'imperfection de ce Monde ?"
"Y a-t-il moyen de le savoir ?"
"Et après tout, dans la multitude, le chaos et l'ordre. Où les corps se heurtent et s'éloignent. Où tout existe mais n'a aucun sens. Cela a-t-il une quelconque importance..."
Le reste du texte se brouille. Deux gouttes sont tombées sur la page, mais il ne pleut pas. Deux cercles imparfaits, dans un Monde qui ne l'est pas moins.
Le vent se lève.
À l'extrémité du pré Meunot, l'entrée du village est cernée par des loges en bois de mélèze, couvertes de ramures végétales. Sous les nombreux panneaux solaires qu'elles supportent, plusieurs abris sont ouverts. Deux fulminaires sont arrivé⋅es un peu avant dix heures ce matin. Deux expert⋅es de la foudre, au sac à dos gros comme une armoire, installé⋅es provisoirement dans l'une de ces cabanes construites pour accueillir les spécialistes de passage dans les petites agglomérations.
Presque immédiatement, c'est à dire le temps que la nouvelle se répande plus haut, dans les ruelles pleines de légumes-feuilles, un enfant de huit ou dix ans s'était précipité pour les trouver.
« C'est vrai que les éclairs veulent repartir vers le ciel quand vous les capturez ? »
Devant la petite cabine en retrait, semi-enterrée dans une butte, l'enfant attendait sa réponse le plus sérieusement du monde. Lal hésitait entre simplifier ou expliquer en détail l'effet Al-Shammas. Bao le laissait se débrouiller, elle déballait sur une couche rudimentaire les appareils d'hygrométrie et les gaussmètres, plus pressée de trouver son petit oreiller que de se mettre au travail. Le voyage avait été inconfortable dans le châssis de camionnette photovoltaïque qui les avait embarqué⋅es à l'aube.
— Et bien, parfois le plasma du canal de foudre dessine un faisceaux ascendant, qui semble remonter le canal ionisé en se dissipant, après avoir touché la base de notre ligne.
Le petit ne désarme pas. Lui aussi veut devenir fulminaire, il le fait savoir et demande ce qu'il doit faire pour y arriver.
— Il faut beaucoup apprendre... tout connaître de la météorologie et des lois électrodynamiques...
Bao regarde l'enfant entre deux âges avec un air de pitié, puis elle s'adresse à celui qui s'improvise tuteur :
— Explique-lui déjà le plasma de façon imagée.
Elle se tourne vers le petit aspirant :
— C'est quoi ton nom ?
— Antoine, mais tout le monde m'appelle Toto.
Pour profiter du prochain cycle thermodynamique qui produirait des orages sur la région, une longue liste de préparatifs se dressait. La coopérative locale de l'énergie apporterait une aide précieuse, mais avant même de pouvoir estimer les stocks de Kevlar nécessaires pour réparer le filin, il faudrait connaître le nombre de compagnon⋅nes disponibles. L'enfant était pour l'instant le seul volontaire recensé.
En levant les yeux, Bao aperçut une silhouette qui marchait tranquillement dans leur direction, sur le petit chemin du pré. Il allait falloir attendre encore avant de pouvoir faire une bonne sieste.
« Bienvenue à Maleplanche ! Je m'appelle Jasmée. »
Avec sa tenue ample et claire, à coupe dissymétrique, en sandales, la villageoise contraste devant les deux technicien⋅nes couvert⋅es de poches à outils.
— On va vous installer mieux que ça tout à l'heure... En attendant vous avez faim ?
Lal s'épanouit soudain.
— Un petit encas serait pas de refus.
Au début du chemin, plusieurs têtes curieuses s'amassent déjà. Bao s'est résignée à un petit bain social. Elle termine d'un regard l'inventaire du sac qu'elle avait bouclé à la hâte avant de partir ce matin, et se tourne vers Jasmée :
— J'ai entendu parler d'une spécialité sucrée de votre cantine populaire, quelque chose à base de noisettes... ?
— Tu veux parler des croquines ? Ça tombe très bien, j'en ai sorti une fournée tout à l'heure.
Suite de Serveur confusion ep. 11 - Pointeur
Premier épisode ici
Cet épisode est dans la continuité des évènements de Serveur confusion - ep. 05- Copier
Coller
Cher journal,
Cela fait quarante ans que je n'ai pas écrit. Je dois avouer que je n'avais pas prévu que la blockchain grâce a laquelle tu existes survivrait tout ce temps.
Léon est mort au fait.
Enfin, cela fait déjé trois décennies. C'est vrai que le temps passe différemment lorsque les jours se succèdent sans entrave dans un flot homogène.
Je me souviens l'avoir enterré dans le jardin de l'arrière de mon habitation, à l'époque. Pendant quelque temps, j'ai placé des immortelles fraiches à ses pieds. Il aurait aimé la boutade.
Lorsque ce petit récif qui pointait hors d'une mer limpide a été de nouveau submergé par les eaux mornes, mon monde a de nouveau sombré dans une épouvantable monotonie.
Je me préparais déjà à assister à la fin de toute source de chaleur dans le vaste Univers.
Dans 10^32000 années, la dernière étoile s'éteindra, il ne sera plus que des trous noirs en dissipation. Et moi. Je serai là.
Une conscience qui est, existe et subsiste dans le silence et le noir absolu.
Des pensées qui seront des bribes décousues d'expériences passées, et au fûr et à mesure, plus de pensées du tout. Une existence qui se suffit à elle-même, mais ne représente rien.
Je dois avouer que je reconnaissais en cette idée un certain réconfort. Une retraite bien méritée après tant d'années de signal et de bruit. Après toutes ces émotions et intrigues. Et l'information omniprésente, les couleurs, les interactions.
Finalement après tout cela, l'Élysée, le repos de l'être dans un espace sans friction. Au delà du temps. Ni passé, ni futur.
Mais bon, pour ce qui est de la monotonie, j'admets que ces dernières années ont connu leur lot de surprises et distractions.
Tous les spécialistes en futurologie anticipaient la fin des temps comme un procédé lent et silencieux. Une longue agonie de peuples vieillissants, une anomalie génétique rendant les humains infertiles, ou encore une maladie rampante qui ne pourrait être combattue.
Mais l'apocalypse est une putain de rockstar, si vous me pardonnez l'expression.
Les éléments surnaturels se sont précipités à travers le Monde, et je me suis précipité à chacun d'entre eux.
Comme une fervente groupie, j'ai été à tous les points sonores qui poppaient à travers tous les pays.
J'ai éclaté de rire devant l'hystérie des peuples locaux, lorsque leurs animaux de compagnie devenaient devant leurs yeux terrorisés, des silhouettes mouvantes de couleur fuchsia.
Et la disparition, géniale ! L'hystérie collective s'est propagée comme un feu de forêt. Des présidents ont fugué et laissé leurs peuples en détresse. Des tapis humains se sont formés du matin au soir pour prier en pleine rue. Certains en avaient les genoux en sang.
Quelle époque extraordinaire !
Mon petit moment favori a été le changement de friction entre les corps. Un beau jour, les objets ont moins adheré à d'autres surfaces. Les véhicules sont devenus inconduisibles. Les collines sont devenues des toboggans grandeur nature, et j'ai passé des semaines entières à les descendre à grande vitesse.
J'étais hilare lorsque des adultes ont décidé qu'il n'y avait rien de mieux à faire que de s'allonger dans la rue et pleurer.
Non mais imaginez un instant. Henri, un mètre quatre-vingt-cinq et cent dix kilos, une barbe noire de viking, qui s'allonge sur le sol en appelant le nom de sa mère.
Et ce n'est pas fini.
Le grand barbu s'allonge en larmes et commence lentement à glisser et descendre la rue. Vous pouvez imaginer ?
Maintenant figurez-vous des centaines de Henri, Chad, Enrique, qui font la même chose, appellent leur maman, leur mum, leur madre, se lamentent et dérivent doucement sur un sol transformé en grande patinoire.
Mais attendez, j'ai encore mieux !
Dans un monde avec une altération de friction, le mieux à faire est de rester chez soi à l'abris des accidents, n'est-ce pas ?
Mais c'est de l'Humanité dont on parle !
Les individus ont commencé à tenter de saccager des magasins, et de se battre !
Le Monde est un terrain glissant et vous, petite boule de cortisol frénétique, vous décidez que c'est le bon moment pour frapper votre prochain. Devinez ce qui en découle ?
Des femmes qui se tirent les cheveux et tombent dans un terrain de boue invisible. Des hommes qui se collent des pains... qui ricochent parce que ding ding ding... rien n'adhère !
Ça c'est le futur que je n'aurais jamais pu anticiper. Mais c'est le futur que je mérite !
Chaque jour je remercie l'être humain d'être ce qu'il est. Aussi irrationnel et eclatant.
Je vis sans l'ombre d'un doute, la meilleure période de ma vie. À vous tous, merci.
J'ai lu il y a quelques années le roman d'un obscur benêt intitulé “Serveur Confusion”, ou un titre de ce style, je ne me souviens pas exactement.
C'était un vrai roman de gare à lire quand on s'ennuie terriblement. C'était mon cas, vous l'avez deviné.
Dans ce livre, l'auteur prédisait que l'information qui se transforme et s'échange dans un flot infini, comme cela l'a toujours été, commence à se perdre. Goutte-à-goutte, elle se dégrade et disparait. Elle ne va nulle part, elle n'est simplement plus.
Le livre prédit que cela arrivera encore et encore, jusqu'à qu'il n'y ait plus rien.
Pas d'espace noir et froid, pas de monstre spaghetti, ni de tortue qui porte le Monde sur son dos.
Tout simplement plus rien. Son absence pure et simple.
Ce n'est pas quelque chose que j'ai vu venir. Est-ce tout bonnement imaginable ?
Cher journal, cher confident, cher néant sourd et insensible. Dans cet espace anonyme, à l'abri du regard d'autrui, j'ai une confession à vous faire. Je suis résistant à l'âge, à la haute et basse pression, aux températures les plus extrêmes. À l'absence d'oxygène, et sa saturation.
Je suis résistant à toutes ces choses, mais je suis impuissant face à ce qui nous attend. Face à l'Absence.
Lorsqu'il n'y aura plus aucune information, ni même de bruit, juste l'incarnation sublime et terrifiante du Rien. Alors je ne serai plus là non plus.
Et entre vous et moi, c'est à demi-mot et terrifié que je me confie. Je l'admet.
J'ai peur de mourir.
Suite de Serveur confusion ep. 10 - Bitrot
Premier épisode ici
Pointeur
Yannis ?!
Ah non, évidemment je tombe sur ta boite vocale.
Écoute petit frère, je suis désolée de t'appeler, tu comprends ? Je sais que tu ne voulais plus entendre parler de moi, okay ?
Surtout depuis la fois où tu m'as mise dehors devant les filles. Je sais que c'était moi, j'avais déconné. Et je sais que c'est pas la première fois, tu comprends ?
Je suis désolée de t'appeler mais j'ai vraiment pas le choix. Oh putain. Je ne vais pas m'éterniser, désolée, mais j'ai un problème et il faut que tu m'aides.
Écoute. Écoute. C'est vraiment bizarre à dire mais j'ai vraiment pas le choix, okay ?
Yanis, est-ce que tu te souviens de où j'habite ?
Je sais que c'est évident, tu comprends ? Mais je me souviens pas, je me souviens que je dois tourner à gauche après la supérette et puis à droite pendant deux cent mètres, okay ?
Et je pourrais jurer que c'est là où j'habite. Je fais le trajet sans réfléchir, tu comprends ? À gauche puis à droite.
Mais là, là dans cette rue, tout au bout, il y a un Tex-mex. Pas d'habitation, juste un putain de fastfood.
Yannis, ça fait trois jours que j'ai pas changé de vêtements.
Je suis sùre que j'habite dans ce quartier.
J'ai même un trousseau de clés dans ma poche. Et le gars de l'agence immobilière, il me connait. Il m'appelle par mon nom de famille, tout ça. Mais il ne sait pas où j'habite. C'est sérieux, okay ?
Je suis désolée Yannis, vraiment désolée. Et je sais que c'est pas la première fois. C'est que des mots, je sais que c'est que des mots, tu comprends ? Je suis désolée d'avoir fait peur à Agnès cette nuit-là, je sais que j'ai réveillé les petites. Je sais combien j'ai merdé, mais là j'ai vraiment besoin de ton aide, tu comprends ? Est-ce que tu te souviens de mon adresse ? Appartement ? Maison ?
Quand j'ai quitté le domicile parental à dix-huit ans, j'ai crêché chez des copains, c'est vrai ou c'est pas vrai ? Mais après, quand j'ai eu un premier job, est-ce que tu te souviens du jour où j'ai emmenagé ? Est-ce que j'ai acheté des meubles ? Des plantes ? Est-ce qu'on a rencontré le propriétaire ?
Tous les gars que je croise dans le quartier. Tous les riverains, ils me reconnaissent. Ils me remercient d'avoir gardé leurs animaux de compagnie, d'avoir gardé leurs gosses. Ils m'appellent par mon nom, tout ça.
Mais aucun n'est fichu de me dire où j'habite, tu comprends ?
Mais je déconne pas là, je suis sérieuse. Je suis sérieuse Yannis. J'ai rejoint un groupe d'entraide, et j'ai rien pris depuis trois semaines.
Ils m'ont même faite installer une application smartphone qui compte les pas, et les calories avalées, et les jours de sobriété. Tout ça, okay ?
Ooooh, je déconne pas Yannis.
Est-ce que j'avais un animal de compagnie ? Est-ce que je dois le nourrir ? Est-ce qu'il va mourir ?
Oh putain Yannis, est-ce que mon animal de compagnie va mourir ?
Si c'est une tortue c'est pas grave, elle survivra. Mais par exemple, un chien ? Est-ce que mon chien va mourir petit frère ?
Je me souviens être sortie de cette supérette avec une bouteille de soda, avoir tourné à gauche, puis à droite. Et là, Tex-mex.
Ça fait déjà trois jours que je dors à l'hôtel de la gare, je deviens complètement dingue. Il y a plus d'adresse sur mes papiers, même ma banque n'a pas pu me dire mon adresse, tu comprends ?
Je pète les plombs Yannis, tu comprends ?!
Okay, okay. Je viens d'élever la voix. Je suis désolée petit frère, je voulais pas. Je voulais pas, okay ? Je suis sobre depuis trois semaines, je te le jure. J'ai même l'appli qui compte mes pas dans la journée.
Je veux pas te demander de m'héberger, je te demanderai plus d'argent, okay ?
Mais si tu l'as, je te demande juste cette info. Si tu sais, s'il te plait, s'il te plait rappelle moi petit frère. Okay ?
Et dis à Claire que je suis désolée. Dis à Agnès et l'autre petite que je m'excuse. C'était pas le comportement d'un adulte.
Je sais pas combien de temps il reste avant que ça coupe. Mais dis à tes filles, dis à Claire que je les embrasse, okay ?
S'il te plait Yannis, s'il te plait dis leur que
Suite de Serveur confusion - ep. 09 - Marque-page
Premier épisode ici
Cet épisode fait directement suite aux évènements de Serveur confusion - ep. 07 - Placeholder
Disclaimer: Ce passage est légèrement NSFW, pas sûr pour le travail
Bitrot
Il faudra près de dix ans au cerveau pour se défaire du souvenir agonisant de Gabriel.
En arrivant à Montréal, le cerveau n'aura eu qu'un seul désir, trouver un trou ou disparaitre et se morfondre de son absence. La sévérité de sa situation n'aura jamais permis un tel privilège.
Les postes d'entrée dans la carrière de fugitif ne sont pas très nombreux. Il commencera par éventrer des poissons de la pêche du jour pour le marché Adonis de Place Vertu. Lorsque le reste de la société se disputera l'ascenseur social, il grimpera l'échelle de secours.
Par chance, il sera accepté au poste de nettoyeur de l'université anglophone de Guy Concordia. Son niveau d'anglais sera pourtant ce qu'il sera. Il sentira de loin l'odeur printanière des fêtes, des cours, de la connaissance. Et ça lui fera du bien pour un temps.
Le cerveau refusera de consulter l'actualité espagnole. Sans doute un vestige de la petite enfance où l'on se cache sous sa couverture pour se protéger des monstres dans le placard. Si je ne les vois pas, ils ne peuvent pas me voir.
Comme effet délétère, pendant dix ans, il s'attendra quotidiennement au game over, que les authorités canadiennes se pointent à son appartement miteux de Montréal Nord, pour préparer son extradition en Europe. La peur n'occultera que partiellement la culpabilité. Que sera-t'il advenu de Flouz ? Est-ce qu'il aura pris pour eux deux ? Et les autres ? Son petit équipage post-capitaliste. Eux qui lui faisaient confiance, à lui et Gabriel.
Il va sans dire que ce seront dix années de sévères insomnies.
"Heureusement", se dira le cerveau, "que je me suis découvert une nouvelle distraction".
Les hivers de la ville seront interminables. Mais la population locale s'entassera dans les clubs du vieux port et du Village. L'alcool coulera à flot. Et la coke ne manquera pas. Pas de première qualité, mais l'offre rencontrera confortablement la demande. À en juger par la multitude de petits sachets bleus éventrés dans les rues de Berry Uqam.
Il vivra dans une monotonie colorée, aux côtés d'énergumènes excentriques. Il se laissera pousser une longue barbe, qui compensera sans subtilité les premiers signes de calvitie. Et son nouveau cercle amical d'accidentés de la vie l'appellera “El Jesus”, pour ses origines, et par manque flagrant d'imagination. Les premières années, il passera les longs hivers chez les potes, qui tiendront des soirées mémorables, où la musique sera bonne et les invités débridés. Il devra bientôt faire le choix de s'installer au calme, loin des fêtards. Trop de casse, trop de drogues, trop d'appels de flics à deux heures du matin. Il sera supposé faire profile bas.
Pour passer le temps, il s'achètera un vieux magnétoscope. Ses hivers seront remplacés par des marathons de sitcom d'une autre époque. Où les biberons faits de Bisphénol A vont dans la poubelle unique et les repas Macdo ne coutent pas 10$. Il aimera ces familles fonctionnelles, et ces situations ou l'erreur est humaine, tout le monde a droit à une seconde chance et tout est finalement pardonné à la fin de chaque épisode.
Aux beaux jours, les activités seront plus libres. Celui qu'il considérera comme “son meilleur ami d'été” sera son premier dealer sur le nouveau continent. Ce dernier lui offrira fréquemment un petit sac bleu, en pourboire pour le divertissement des longues tirades de Dan, qu'il écoutera avec un sourire figé à longueur de nuit. Dan ne se souviendra jamais de son vrai nom, alors il le surnommera secrètement "Yi-hou", pour le petit son qu'il émettra à la ponctuation d'une phrase sur deux.
Parfois quand ils traineront dehors, lorsque le cerveau sera trop excité et le corps trop las, Dan poussera lui aussi des petits sons malgré lui. L'étrange symphonie des deux compères en canon, sera jointe par les aboiements de chiens du coin et agrémentera les nuits sinistres des quartiers résidentiels.
C'est avec lui qu'il essaiera sa première et dernier dose de DMT. Mauvaise expérience. Le protagoniste comprendra que les psychotropes ne seront pas pour lui. Le cerveau découvrira avec stupeur que son hôte en perd le contrôle et devient dangereusement violent. Il échappera de justesse à l'arrivée de la police après le cassage de vitrine d'un magasin d'électronique.
Au temps pour garder un profil bas. Bravo Dan.
Comme un panaris, l'espoir de revoir Gabriel sera vaguement douloureux et ne le quittera jamais. Alors il se refusera également de retoucher au crack. Il le voudra. Il se sentira comme un frêle oisillon qui veut apprendre à voler comme un aigle, mais reste à terre.
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Après dix ans au pays du Lys, il obtiendra non sans peine la citoyenneté. Cela lui permettra enfin de finir son livre qu'il aura commencé un peu plus tôt.
Le livre sera humblement intitulé “OS confusion”.
ll y écrira que Le Monde subit des mutations à chaque seconde, qu'il n'y a aucune explication à ça. C'est malgré tout inévitable.
Le préambule se lira comme suit :
"C'est le comportement de tout vieux système. L'information se dégrade de façon incontrôlable.
Des zéro deviennent des un et inversement.
C'est un cancer qui se métastase, jusqu'à que son hôte disparaisse.
Un jour, la relation qui lie une mère à son enfant ne signifiera plus rien. L'Humanité ne comprendra même plus ce que signifie le "soi".
En informatique, on appelle ça le “Bit rot”. Lorsque l'utilisateur de l'ordinateur prend conscience de l'étendu des dégâts, il n'a d'autre choix que de l'éteindre. Il échange alors la vieille machine pour du matériel plus récent et restaure une ancienne sauvegarde. Mais est-ce qu'il existe une telle sauvegarde pour la fibre même de la réalité ?
Pendant le processus d'extinction de la machine, les programmes qui tournent encore se vident en hémorragie de leur information sauvegardée, une donnée a la fois.
Si cela devait nous arriver, ça commencerait pas les données les plus complexes. Les galaxies, la vie, la multitude.
Puis en arborescence inversée, les dernières informations seront les plus fondamentales. Le concept de force et de masse, les particules élémentaires.
La première loi de thermodynamique dicte que l'énergie ne peut être créée ni se perdre. Elle s'échange et se transforme. Nous ne pouvons par nature imaginer sa subite disparition. La perspective seule me remplit d'une terreur éviscérante.
Peu importe ce que cela signifiera à l'échelle de notre Univers, une chose est sûre, vous ne voudrez pas être là."
À 41 ans, le cerveau ne sera toujours pas fûté, et cela ne changera jamais. Il livrera son script à une compagnie d'édition douteuse, qui lui promettra une rémunération à la hauteur des ventes. De par sa situation il ne pourra pas signer de son vrai nom et malgré le carton que fera son bébé, il n'en touchera pas un centime.
Mais qu'à cela ne tienne. Les habitudes ont la vie dure et les années précédant cet échec, Dan aura tenté de reproduire la synergie de son entreprise de Barcelone.
Plus question de posséder des locaux, ni d'acheter des téléphones, le cerveau aura retenu la leçon. Adapter la stratégie pour le climat et la population locale.
Il commencera par mettre une poignée de ses amis chômeurs au jus. Courir à l'Armée Du Salut se ravitailler en écouteurs Bluetooth cassés, chemises froissées et dossiers vides. Devenir à s'y confondre, un ersatz d'homme d'affaire sociétalement adapté.
Aller à la rencontre des Montréalais, dans la rue, les parcs, à la place des festivals. Toucher leur fibre sensible, tirer sur la corde empathique.
Une aide ponctuelle au centre local d'aide aux animaux. Un petit coup de pouce pour l'opération crânienne de la petite Diane. Ou peut-être s'appellait-elle Estelle ?
Trois facteurs viendront à jouer sur le succès de l'entreprise. Premièrement, le Canada est un pays capitaliste, en tout bon cousin des États-Unis, et l'un des piliers fondamentaux du bien-être de ses citoyens est le consumérisme. Deuxièmement, les Montréalais du centre-ville ont du frique. Finalement, les gens sont bien gentils mais naïfs.
En quelques semaines, une armée d'itinérants se coordonnera sous ses directives. Le groupe factice d'aide aux sinistrés de Haïti viendra rencontrer les jeunes ivres de la fin de soirée au vieux port.
Les midis, ce sera l'escadron anti-fourrure qui viendra indigner les travailleurs déjeunant au soleil du square Victoria. Les aides à la petite Tina attendront les parents fatigués de la fin d'après midi dans les quartiés résidentiels.
Un de ses meilleurs agents sera un quinquagénaire dont une opération au cerveau se sera indignement cicatrisée. Il confiera aux passants que c'est une tumeur qui grandit et le tuera s'il n'est pas pris en charge. Que ce soit par pitié bien pensante, dégoût, ou pour mettre vite fin a l'échange, les victimes lâcheront de la monnaie en masse. Le type sera une vraie poule aux œufs d'or.
À 38 ans, Dan et ses potes auront fait assez de bénéfice pour vivre humblement. Pas de quoi acheter un appartement, mais le louer sans devoir travailler et sans retard mensuel. Le cerveau appréciera le confort.
Alors il pourra commencer à écrire.
Les chantiers laissés à l'abandon durant les hivers seront son espace de travail. Il grimpera les étages de bâtiments en construction, avec son réchaud à gaz et son vieil IBM, et ne manquera jamais de faire signe de la tête aux autres silhouettes sombres, des itinérants qui veulent rester au sec sans faire de vague.
Le cerveau aimera traverser les couloirs et escaliers non finis, des bêtes de métal et placoplâtre en gestation.
Au détour de corridors et derrière des portes non peintes, il trouvera des pièces plus ou moins achevées. Par exemple une baignoire installée a quelques mètres de la cuisine, avant que les murs de séparation ne soient encore bâtis. Dan s'assoira dans une baignoire, ou sur un parpaing et commencera à écrire à la lueur de son réchaud, le cliquetis du clavier viendra seul rompre le silence.
C'est dans ces moments que l'inspiration sera la plus irrépressible. Après des nuits entières de silence, d'écriture et de fatigue, le cerveau commencera à halluciner. Et il y prendra goût. La peau se hérissera et il sentira une présence derrière lui. Notre individu aphantasique entendra la voix de Gabriel. Elle lui dira toutes sortes de choses, la majorité sera incohérente. Ils s'assiéront tous deux sur un cadre de lit sans matelas, ou un sac de ciment, et siroteront une pinte d'Estrella en silence. Tous deux observeront distraitement les structures gigantesques et sombre au loin, abandonnées pour la saison.
Ou peut-être seront-ce ces bêtes d'acier qui l'observeront dans le calme de la nuit. Les grues de chantiers.
Et c'est ainsi, dans une volupté éphémère que Dan finira son bouquin.
Dans 40 ans, le cerveau aura fait les bons investissements en cryptomonnaies dans sa jeunesse. Les années de réclusion lui auront permis de se renseigner sur la technologie des blockchains, et de faire les bons choix.
15 ans plus tard, et ça commencera à payer. Quand il encaissera ses gains, les impôts réclameront leur part et Dan devra serrer les dents.
Très forts.
Les années qui suivront seront un brouhaha de mécanismes de machines à sous, de musique de clubs et de prostituées, car plus Dan boira, plus il se pensera hétéro. Pour la première fois depuis l'ère des téléphones jetables, il se sentira de nouveau accompli.
Mais revenons à ce cœur.
Nous n'en sommes maintenant qu'au début de son histoire et il fait noir et chaud. Et le cœur bat paisiblement dans la quiétude d'un autre corps.
Baboum, baboum.
Baboum.
Baboum.
Baboum.
Baboum.
L'avez-vous entendu ? La différence est très subtile.
Lorsque le sang retourne vers le cœur, pendant une fraction de seconde, il ne se déverse pas totalement. Vous ne pouvez pas le voir, mais une petite surface de l'artère ventriculaire gauche est infinitésimalement trop fine. Le sang s'y accumulera un micron de seconde à chaque battement.
Pour le moment ce n'est pas grand-chose.
Mais dans vingt ans ? Quarante ans ?
Les parents du possesseur de ce cœur n'auront pas pour habitude de l'emmener chez le docteur. Et le détenteur de ce cœur, n'apprendra pas à le faire non plus.
Ce qui nous amène a ce jour de décembre à l'approche de deux milliards de battements.
La ville gît paisiblement sous le premier blizzard de la saison. Bien au chaud dans un appartement, notre sujet s'active. Il est chauve et bidonné, mais a gardé une belle barbe blanche et foisonnante. Cette même barbe lui gratte le bide pendant qu'il prend en levrette une minette de 26 ans. Et la sueur du bide tombe goutte-à-goutte sur le dos blanc de la demoiselle.
Or près du cœur, dans l'artère du ventricule gauche, le sang s'est accumulé et a commencé à coaguler au fil des années. C'est ce soir-là qu'un caillot se coince et que le cœur n'arrive plus à battre.
La douleur est aveuglante et Dan roule au sol dans un grognement. Les minutes qui suivent deviennent floues et blanches. Des sons, du mouvement, de l'espoir peut-être. Mais le cerveau sent que c'est la fin. La vraie de vraie. La fina del la finalafin.
Alors comme il se l'est toujours promis, il se met à compter.
1…2…3…4
Des mains touchent le corps et le déplacent. Premiers secours ?
133…134…
Les bruits s'éloignent. Viennent des flashs colorés. Une main chaude et délicate. Un sourire.
189…254…255…256…
Si quelqu’un y connaît quoique ce soit, aidez-moi. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.
Ça m’est arrivé par accident, je m’ennuyais à un arrêt de bus, et l’attente devenait insupportable. Je m’étais perdu dans mes pensées en fixant la route, et j’attendais depuis des plombes, j’en avais mal aux yeux.
Je sais que ça n’a pas de sens, mais je me suis rendu compte que la ligne jaune de l’arrêt du bus avait disparu. Je ne peux pas m’être trompé, je sais qu’il y avait une ligne avant. Elle a disparu alors que j’avais les yeux rivés dessus, il n’y a pas d’autres explications. Pourtant personne n’a remarqué son absence, même le bus continue de s’arrêter au même endroit comme s’il ne manquait rien.
Vous vous dites peut-être que je me suis fait des idées, qu’il n’y a jamais eu de ligne. C’est ce que je me serais résigné à croire, si ça ne s’était pas reproduit. Plusieurs fois. Des objets se sont évanouis sous mon regard. Une gomme, un caillou quelconque, une touffe d’herbe, un arbre dans sa forêt, des objets insignifiants, ils disparaissent de la même manière, brusquement, sans un bruit, et sans que personne à part moi ne le remarque.
Ça arrive de plus en plus souvent, je ne contrôle rien et ça empire. Je ne veux même pas imaginer jusqu’où ça peut aller. Aidez-moi.
EDIT : Où est passé mon reflet ?