billetcognitif

joined 1 year ago
[–] billetcognitif@kbin.social 5 points 1 year ago (2 children)

Et toujours pas de pont Lady Di.

 

Histoire inspirée de faits réels, mais ça ne me fait nichon ni froid.

La canicule sirupeuse de l’été ensuqué dégoulinait jusque dans le bureau où je m’étais réfugié pour la journée. Malgré les volets fermés, la clim’ peinait à crachoter le moindre vent de fraicheur et je la suspectais de seulement contribuer à la fournaise moite et collante de la rue. Dehors, les façades exsudant un remugle infesté des exhalaisons intérieures étaient assaillies sans relâche depuis l’aube par les dards priapiques d’un soleil en pleine période de rutilances.

 La journée, le cagnard permanent de la ville désertée par le vent allait avoir ma peau suintante, j’en avais la certitude. Je ne vivais plus, j’agonisais au rythme de longs râles indolents, perlant des sécrétions sudoripares dans lesquelles se mêlaient whisky de la veille et idées noires, mais le soir, ce n’était guère mieux. La chaleur urbaine du jour, accumulée par la moindre brique trop lustrée, le moindre centimètre carré de goudron purulent, se libérait alors en caléfactions visqueuses et ne faisait qu’accentuer la sensation de constamment suffoquer dans l’odeur miasmatique d’une transpiration rancie communale. En effet, dès le crépuscule, toute une faune charnelle sortait des tanières fétides pour chercher un semblant de bouffée d’air tiède en ne s’embarrassant plus de la moindre convenance. On exhibait sans pudeur des chairs daubées et turgescentes, à moitié cuites à l’étouffée par le soleil d’étuve et les ardeurs putrides que l’enfermement avait lascivement cultivées.

 Ce fut un de ces soirs-là d’éréthisme à trouer un slip qu’elle entra dans ma vie comme papa dans maman les soirs de fête, sans cérémonie, mais avec tellement de conviction et d’aplomb qu’annoncer ses intentions était une formalité dont on se passait au mépris des sentiments. Elle surgit dans mon bureau et mes pensées salaces en faisant claquer la porte et mon frein intérieur sous l’implacable impulsion de ses mammouths mammaires, une paire d’airbags tititanesques qui semblaient faits pour être constamment déployés et qui donnaient à rêver de collisions frontales répétées, encore et encore. Et encore. Et encore. Devant ses mappemondes circumpelotées, des centaines d’hommes avaient dû se découvrir une vocation de cartographes en chambre ; nul doute que des druides libidineux avaient dévotement érigé des menhirs de chair à la gloire de ses jumeaux, avatars bovins d’une déesse laitière.

 Ce double monticule orné d’un tissu fâcheux précédait une jeune femme élégante aux cheveux plus noirs que du charbon, mais en plus sexys, aux yeux plus profonds qu’un puits de pétrole et aux lèvres pulpeuses comme la fin d’une bouteille de jus d’orange pur jus. Elle n’avait peut-être pas vingt ans, elle était au sommet de sa beauté. C’était l’association parfaite pour quelqu’un comme moi dans la fleur de l’âge, au meilleur de ma forme physique sous ce ventre replet d’homme mûr d’à peine cinquante-quatre printemps. Ses mamelles matricielles, béantes de volupté au moindre vent, au moindre murmure, au moindre regard, n’étaient pas sans rappeler mes névroses. Tellement elles semblaient imposantes et suffocantes, je savais que je ne pourrais m’empêcher d’y revenir et de me perdre malgré moi dans cette mégalolomanie en tétons armés.

 Alors qu’elle approchait avec pectoralité, je me dis que sa robe translucide devait encombrer sa respiration, car elle ne put retenir une série de halètements plaintifs rythmés par les mouvements oscillatoires et frémissants de son buste turgescent affligé d’une congestion mammaire. Je me dis aussi qu’elle avait des nichons énormes.

 Par politesse, je baissai le regard pour ne pas la fixer dans les yeux. Elle me nibarda effrontément et, tétonné, j’objectai sexuellement que mon érection était plus bas. Elle fit alors remarquer sur le ton de la plaisanterie, une façon très subtile de flirter qui m’était bien familière, que ça expliquait ma pâleur. Aussitôt, nous baisâmes comme des lapins, c’est-à-dire en moins de trente secondes au bout desquelles je tombai sur le côté, ahanant et à moitié catatonique. Dans un instant d’intimité qui sembla durer assez longtemps pour remettre le couvert, elle me vagina sa vie de mannequin et d’ancienne gymnaste reconvertie dans la culture de melons – même si elle préférait parler d’élevage, ce à quoi j’opinai avec fureur en la chevauchant tel l’amant de Pasiphaée, en mugissant, les bourses écrasées contre le bois du bureau. Mais j’ignorai la douleur tellement j’adorais les melons, surtout quand ils étaient bien juteux et bien fermes en même temps, quand on pouvait les presser sans fin pour en extirper tout leur parfum comme une promesse de chair rose et sucrée découpée en petits dés pour un apéritif au Porto. Nous refîmes l’amour plusieurs fois d’affilée. Elle jouit une bonne vingtaine de fois au moins en presque deux minutes de montagnes utérusses – je n’avais aucune raison de ne pas croire ses longs soupirs exaspérés – jusqu’au moment de ma crise d’asthme. Alors elle déballa finalement l’objet de sa venue en remballant le reste : ma voiture pénisbloquait la sienne. Mollement, je testiculai que je n’avais pas le permis et sur ces mots mal scrotumés, ses mastodontesques roploplos dévulvèrent de ma vie, elle aussi. Ces dix minutes avaient défié la gravité de ma vie à la manière de ses meules en apesanteur, de façon tellement irréelle que je ne fus pas surpris ni même déçu quand le toubib déclara que j’avais encore failli crever de déshydratation à cause de la canicule.

[–] billetcognitif@kbin.social 2 points 1 year ago

Quand on voit la vie uniquement à travers le prisme d'un conte de fées...

[–] billetcognitif@kbin.social 1 points 1 year ago (2 children)

C'est un autre niveau, mais j'ai connu une Hong-kongaise qui n'arrêtait pas de parler de Florence et Prague comme ses villes idéales pour se marier ou être demandée en mariage. Son copain de l'époque, avec qui elle sortait depuis quelques mois, l'avait invitée pour passer le réveillon à Prague et au retour, elle a rompu avec lui parce qu'elle s'était persuadée qu'il allait la demander en mariage là-bas.

[–] billetcognitif@kbin.social 8 points 1 year ago (1 children)

En même temps, Darmanin a sans vergogne récupéré le slogan "Mets ta cagoule !". Ce n'est qu'un juste retour de bâton.

[–] billetcognitif@kbin.social 4 points 1 year ago (1 children)

Je m'insère éhontément en proposant ma parodie de la Marianne en cours depuis 2018 : https://imgur.com/a/o5Ij9cy

[–] billetcognitif@kbin.social 5 points 1 year ago

C'est en fait une migration des touristes méditerranéens vers le nord. En même temps, les images par satellite de l'Espagne sont angoissantes depuis des années.

 

Drôle de cimetière empli de tombes vides
Que, muni d’un balai, arpente un fossoyeur.
Allant de bière en bière et visage livide,
Il court les feux follets aux sentiments vivides,
Mais ne voit qu’un reflet de brasiers vétilleurs.

Tant de matches joués pourtant perdus d’avance :
Cent fois vers la droite effleurés de l’index
Pour deux contacts noués. Voyant la concurrence,
Ils s’éclipsent sans hâte en foulant la confiance
De l’amant spartiate au diable de l‘apex.

Une approche tiède, un mot beauf ou trop leste,
Et l’écran, pour un rien se fige en pointillés.
Statut “lu” qui obsède ou “hors-ligne” qui reste,
La vérité survient et révèle une veste
Quotidien du gardien bon pour se rhabiller.

Des milliers de fantômes hantent son répertoire,
Ils observent muets ou vont vers d’autres plans
— Plans pour garder son môme ou plans culs rotatoires.
Du balai, du balai, le gardien sans histoires
Ne se veut pas défait malgré tous ces choux blancs.

Il faut bien que la chance assoupie en coulisses
Lui accorde un succès, un seul et sans rivaux
Pour entrer dans la danse à un moment propice.
Sur ce coup de balai ? Non : réseau hors service.
Du ballet, du ballet dans les vides caveaux.

[–] billetcognitif@kbin.social 1 points 1 year ago (1 children)

Vers la fin de sa vie, Houdini avait pris l'habitude dans ses tournées de débunker les "tours" de ceux qui se prétendaient réellement magiciens. Il envoyait une assistante en reconnaissance pour repérer les spirites locaux, elle prenait des notes pendant la représentation ou la séance et quand Houdini arrivait en ville, il jouait à Mythbuster en ouverture de ses spectacles, parfois avec le spirite local dans l'assitance.

[–] billetcognitif@kbin.social 6 points 1 year ago* (last edited 1 year ago) (3 children)

L'un des exemples les plus notoires de la dérive ésotéricoconne d'une personnalité au bagage scientifique est peut-être Conan Doyle. Médecin-chirurgien, passionné d'histoire, grandes prétentions académiques, et surtout connu malgré lui pour son héros de romans policiers, Sherlock Holmes. La mort de sa première femme, puis de son fils ainé vont le faire céder aux penchants spiritualistes de sa seconde femme, au grand dam de son vieil ami, Houdini avec qui il finit par se brouiller. D'une certaine manière, Conan Doyle est même persuadé qu'Houdini lui cache des choses en insistant que ses tours de magie ne sont rien d'autre que des trucages. Le couple Conan Doyle organise régulièrement des séances animées notamment par la femme, Jean Elizabeth. C'est au cours d'une de ces séances que Jean Elizabeth prétend être en contact avec la mère d'Houdini et celui-ci ne pardonnera jamais au couple ce qu'il considère comme une insulte.

À partir des années 1920, Conan Doyle a la soixantaine et publie des pamphlets spiritualistes dans une démarche prosélyte. Il croit dur comme fer au canular des fées de Cottingley où des gamines se sont prises en photo en compagnie de fées, en réalité des reproductions d'illustrations de livres sur l'occultisme. En 1921, l'article de Conan Doyle sur les fées est ridiculisé à droite et à gauche, même s'il convainc des milliers de crédules. Vexé par les moqueries dans la presse et dans le monde scientifique, Conan Doyle s'enferme de plus en plus dans son délire spiritualiste et participe à des campagnes de harcèlement contre les opposants au spiritisme. Ses écrits, même la fiction, deviennent de plus en plus bouffés par l'ésotérisme jusqu'à sa mort en 1931.

Pour l'anecdote, sur demande d'Houdini, sa femme Bess a tenu pendant 10 ans des séances annuelles de spiritisme. Le raisonnement était que s'il y avait bien quelqu'un capable de communiquer depuis l'au-delà, c'était lui. C'était surtout son ultime manière de prouver que le spiritisme est du vent. Il avait même mis un protocole en place connu de sa femme seule et, après 10 ans de séances publiques parfois parasitées par des charlatans, aucun contact n'a été établi.

En bonus, une photo des fées en papier

[–] billetcognitif@kbin.social 2 points 1 year ago

Non, mais on était 2 à avoir éclaté de rire sur une trentaine d'animateurs. Tout le monde nous a regardés bizarrement comme si on se moquait de quelque chose de trop sérieux et plus tard, le dirlo a nié avoir dit Himmler. Ça a situé le niveau général et l'ambiance.

[–] billetcognitif@kbin.social 4 points 1 year ago

Les plateformes françaises historiques en matière de blog doivent toujours exister. C'est sûr que si on conseille wordpress à un retraité ou n'importe quel autre CMS, ça va tirer la tronche. Mais canalblog, overblog, blog4ever, etc. devraient être des solutions de repli assez simples, même s'il faut tout réapprendre.

P.S. rip le skyblog de Ségolène Royal.

[–] billetcognitif@kbin.social 12 points 1 year ago (5 children)

Mais l’Europe a toujours connu des vagues d’immigration…

Oui, mais les pourcentages étaient différents. En deux générations, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne sont devenus aussi divers que les Etats-Unis. En Allemagne, 18 % de la population est constituée d’immigrés aujourd’hui. C’est une transformation très profonde.

N’y a-t-il pas un risque à nourrir avec ce discours l’extrême droite et la théorie du « grand remplacement » ?

L’Europe se transforme, démographiquement, culturellement, ethniquement. Nier ce fait, influencé par l’immigration, le vieillissement de la population et l’économie des travailleurs bon marché reviendrait à laisser la discussion aux mains des tenants des théories du complot, qui imaginent que le remplacement des Européens autochtones serait orchestré par une sorte d’élite de l’ombre – presque toujours les juifs. Je voulais offrir un antidote à ce complotisme en montrant la réalité de cette transformation, et l’humanité de ceux qui arrivent. C’est pour cette raison que je raconte notamment l’histoire de Brico, qui vient de Côte d’Ivoire et a émigré à Briançon (Hautes-Alpes), après un voyage atroce à travers le Sahara et la Méditerranée, où il a perdu sa femme et sa fille. Cela nous en dit plus sur la place de l’Europe dans le monde que n’importe quel rapport du Quai d’Orsay ou du Foreign Office.

Autre grand changement : la technologie. Comment transforme-t-elle l’Europe ?

Nous vivons maintenant au cœur de l’algorithme. Toutes les histoires d’amour, les amitiés, les relations familiales sont modelées par ça. Des étudiants turcs et autrichiens en échange Erasmus qui tombent amoureux, se perdent de vue, puis se retrouvent grâce à Facebook et à Skype. Un Portugais est attiré par un site Internet d’immobilier pour refaire sa vie à la campagne, dans un endroit où il n’a jamais vécu. De vieux hôteliers suédois cherchent un remède à la solitude avec un site de rencontres en ligne… Je voulais montrer que les basculements de nos vies se jouent désormais à l’intérieur des algorithmes d’entreprises.

Les recoins de la société sont désormais des recoins d’Internet. Les Européens pensent souvent au monde souterrain comme des endroits dans une ville, une rue à l’arrière d’une gare par exemple, ou un quartier de prostitution. En fait, ces endroits sont en ligne. Je raconte l’histoire d’une adolescente lettone qui cherche désespérément à financer ses études et qui se retrouve à s’exhiber sexuellement en ligne pour y parvenir. Ou celle d’un réfugié syrien qui veut être célèbre et tente de monétiser des likes dans le monde du porno. Aujourd’hui, ce monde souterrain est sur chacun de nos téléphones.

Quant au changement climatique, comment transforme-t-il la vie des Européens ?

J’ai fait ces reportages juste au moment où les Européens commençaient à ressentir cette catastrophe dans leur vie privée et personnelle. En Bourgogne, j’ai été profondément choqué par ce que les viticulteurs m’ont raconté. Aujourd’hui, les vendanges se déroulent un mois plus tôt qu’autrefois. Les grands vignerons cherchent à racheter des terrains au Japon, dans le nord de l’Angleterre, en Roumanie, en Patagonie, parce qu’ils savent qu’il y a de très grands risques que la Bourgogne, d’ici vingt ou trente ans, ne soit plus capable de faire le même vin.

Un ingénieur russe qui construit un port de gaz naturel liquéfié à Sabetta (dans la péninsule de Yamal, dans le Grand Nord) raconte comment les troupeaux de rennes en Arctique sont en train de mourir devant ses yeux à cause du changement climatique. D’un côté, cet homme se sent extrêmement fier d’avoir construit cette infrastructure dans des conditions qui rappellent le goulag, mais, de l’autre, il comprend qu’il est peut-être en train de détruire cet environnement.

Quelles conclusions politiques tirez-vous de ces transformations ?

D’abord, et c’est vraiment un point-clé, les élites européennes ou américaines ont tendance à dire que l’Europe est un musée où il ne se passe rien. Je pense que c’est une profonde erreur. En conséquence, l’Europe politique doit être honnête avec ses citoyens, dire qu’on est en train de vivre des changements profonds. Elle doit raconter une autre histoire de l’Europe, pas seulement celle du XX e siècle, qui commence avec l’esprit de François-Ferdinand flottant au-dessus de Sarajevo et se terminant avec la chute du mur de Berlin.

L’Europe du passé est celle des châteaux forts, des menhirs, des églises gallo-romaines… Celle du présent est celle de l’Union européenne, des accords commerciaux. Mais, pour moi, l’Europe est d’abord une communauté de destins, tournés vers l’avenir. Toutes les personnes dans mon livre, même si elles sont venues d’Afrique ou de Syrie, se considèrent comme européennes parce qu’elles y voient leur avenir. Il est important que les Européens pensent plus à l’avenir et construisent une identité politique dans ce sens.

[–] billetcognitif@kbin.social 10 points 1 year ago (6 children)

Le journaliste et chercheur franco-britannique détaille les métamorphoses de l’Europe provoquées par l’immigration, le changement climatique et les bouleversements technologiques

Journaliste, membre du groupe de réflexion américain Atlantic Council, Ben Judah vient de publier This is Europe. The Way We Live Now (Picador, non traduit), un long reportage réalisé sur cinq ans à travers le continent, qui raconte les transformations de l’Europe à travers l’histoire de ses habitants. En vingt-trois chapitres et autant de destins individuels s’expriment un immigré tunisien devenu imam à Avignon, un vigneron de Bourgogne face au changement climatique, un couple turco-autrichien qui s’est rencontré lors d’un échange Erasmus… Il n’y a ni commentaire ni grande leçon, simplement des constatations à hauteur humaine par un Franco-Britannique qui a grandi à Bucarest, Belgrade et Londres, a passé quelques années à Moscou et vit aujourd’hui entre New York et Londres.

Pourquoi un Franco-Britannique qui habite aux Etats-Unis désirait-il écrire un livre sur l’Europe ?

Au départ, je voulais écrire un livre sur la France, que j’ai traversée pendant quelques mois, me rendant dans les Alpes, en Bourgogne, à Avignon… J’avais écrit plusieurs pages d’un livre très classique, dont j’étais le narrateur. Mais je me suis rendu compte qu’il était limité aux frontières de l’Hexagone, alors que ce qui m’intéressait, ce n’était pas vraiment des phénomènes franco-français, mais européens : l’immigration et la transformation ethnique du continent, le changement climatique, la mondialisation… J’assistais à une transformation de la vie européenne. J’ai donc décidé de sortir du cadre de la France.

Vous avez commencé ce livre après le vote du Brexit, en juin 2016. Bien que vous n’en parliez pas, l’avez-vous écrit en réaction à cet événement ?

Dans un sens, oui, mais pas seulement. Je me suis rendu compte qu’on a tous une image mentale de l’Europe remplie de souvenirs, de vacances, de visites des grandes cathédrales, du cinéma italien… Il existe par ailleurs l’Europe politique, celle d’Emmanuel Macron, d’Ursula von der Leyen, de Mario Draghi. Dans les deux cas, il s’agit d’une Europe de l’esprit, de plus en plus éloignée de l’Europe vécue, réelle, où nous vivons. Au Royaume-Uni, les brexiters ont tendance à voir l’Europe uniquement comme un système politique au lieu de l’appréhender comme un continent relié par des flots humains, des amours… Je voulais écrire un livre qui puisse servir d’antidote à cela. J’essaie de raconter les transformations de l’Europe à hauteur d’être humain, pour humaniser cette réalité.

Quelle image de l’Europe se dessine-t-elle à travers les vingt-trois témoignages que vous rapportez ?

Pendant longtemps, j’ai fait des études avec un rabbin. Un des grands principes du Talmud oblige à regarder les choses sous différentes perspectives. J’ai ainsi voulu raconter le marché unique à travers les yeux d’un camionneur, aux conditions de travail très difficiles. Pour lui, l’Europe des Vingt-Sept est un lieu d’exploitation, de bas salaires. Je raconte aussi l’Europe au travers d’un couple qui s’est rencontré lors d’un échange Erasmus, un Autrichien et une Turque : pour eux, l’Europe est un continent d’échanges, de libération, d’amour et de beauté.

Plus tard, on se retrouve à Berlin, et on suit le point de vue d’un livreur d’Amazon, un réfugié syrien traumatisé par ses expériences, qui a constamment des flash-back de ce qu’il a vécu dans la mer Egée, où il s’est presque noyé. Pour lui, Berlin est une ville quasi criminalisée, un monde souterrain de gangs, où les Allemands exploitent cette immigration issue d’Afrique et du Moyen-Orient. Puis on voit Berlin du point de vue d’un réfugié syrien gay. Pour lui, cette ville représente au contraire la liberté, la possibilité de se découvrir personnellement, sexuellement, artistiquement…

De ces reportages réalisés sur cinq ans, quelles conclusions tirez-vous ?

La façon dont on vit en Europe est en train de changer très rapidement et profondément, d’une manière même plus accélérée qu’aux Etats-Unis, où je vis actuellement. D’abord, il y a l’immigration, qui change profondément la texture de la vie de tous les jours, d’une manière très profonde. C’est vrai dans les villes mais aussi les villages ou les cités. Les Etats-Unis aussi sont fondés sur l’immigration, bien sûr, mais ce n’est pas nouveau. Alors que, jusqu’à peu, ce n’était pas le cas pour un village italien, par exemple.

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