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La Géorgie confirme son tournant autoritaire et pourrait rapidement changer de visage après les élections législatives du 26 octobre. Le parti au pouvoir, Rêve géorgien, a commencé sa campagne et dessiné les contours de son programme, semant la stupeur et l’inquiétude parmi l’opposition géorgienne et les partenaires occidentaux de cette ex-république soviétique du Caucase.

En cas de victoire, Rêve géorgien a annoncé qu’il interdirait le principal parti d’opposition, le Mouvement national uni, ainsi que « tous ses successeurs et affiliés ». « En réalité, toutes ces forces politiques ne sont qu’une seule et même force politique : le Mouvement national collectif », lequel « sert des objectifs criminels », a argumenté le 23 août le premier ministre, Irakli Kobakhidze, lors du lancement de la campagne. Le fondateur de Rêve géorgien et homme fort du pays, l’oligarque milliardaire Bidzina Ivanichvili, entend « débarrasser le pays de cette grave maladie une fois pour toutes ». M. Kobakhidze a précisé que cette interdiction entraînerait la suppression du mandat des députés d’opposition. « Il est inadmissible que les représentants criminels d’une force politique criminelle conservent le statut de député au Parlement géorgien », a déclaré le premier ministre.

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2012, le parti n’a cessé de diaboliser le Mouvement national uni, dirigé par l’ancien président réformateur et grand rival de M. Ivanichvili, Mikheïl Saakachvili. Mais l’interdiction pure et simple des partis d’opposition marquerait un durcissement sans précédent et ferait basculer le pays dans l’autoritarisme, dix mois seulement après l’obtention du statut de candidat officiel à l’Union européenne.

L’UE, principal bailleur de fonds de la Géorgie avec les Etats-Unis, a fait part de sa préoccupation, et appelé à respecter les principes fondamentaux de la démocratie, « dont le pluralisme politique est un élément-clé ». A Washington, le porte-parole du département d’Etat, Alex Raufoglu, s’est dit lui aussi « profondément troublé », et a appelé le gouvernement géorgien à « revenir sur la voie de la démocratie et de l’intégration euro-atlantique ».

« Valeurs traditionnelles » L’opposition géorgienne, qui défend le rapprochement avec l’Union européenne, n’est pas la seule en ligne de mire. La répression s’étendra aux personnes LGBT +, qui seront privées de leurs droits « au nom du maintien des valeurs traditionnelles ». Lors d’un discours devant ses partisans le 21 août à Mtskheta, ancienne capitale et centre religieux de la Géorgie, Bidzina Ivanichvili a déclaré que « le soi-disant partenariat civil entre personnes de même sexe, l’adoption d’un enfant par un couple LGBT, les opérations de changement de sexe, et la propagande LGBT dans les médias et les écoles » devaient être interdits par la Constitution. Il estime que « la propagation de l’idéologie pseudo-libérale devient de plus en plus dangereuse dans le monde et en Géorgie », comme le prouverait, selon lui, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris.

Le Parlement géorgien a d’ores et déjà adopté en seconde lecture, mercredi 4 septembre, le projet de loi sur la « protection des valeurs familiales et des mineurs », ainsi que des amendements à dix-huit lois, destinés à priver les minorités sexuelles de leurs droits. L’Union européenne a condamné le texte, adopté « sans consultations publiques appropriées », et qui « ne fera que tendre davantage les relations entre l’UE et la Géorgie ».

Dans un communiqué, le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, rappelle que le processus d’adhésion de la Géorgie à l’UE est de facto « suspendu » depuis l’adoption, en juin, de la loi controversée sur les agents de l’étranger, calquée sur une loi russe et visant à réduire au silence les médias et la société civile. Il appelle les autorités à « revenir sur la voie de l’intégration dans l’UE ». Le paquet législatif anti-LGBT + devrait malgré tout être adopté en dernière lecture lors de la session plénière, du 17 au 20 septembre. Les défenseurs des minorités sexuelles affirment qu’il ne s’agit que d’une « première étape » avant une répression massive.

Rapprochement spectaculaire avec Moscou En cas de victoire aux élections, Rêve géorgien envisage également de faire du christianisme orthodoxe la religion d’Etat, mais cette proposition, qui n’a pas encore été formulée publiquement, pourrait être abandonnée face au tollé qu’elle a déjà déclenché au sein même de l’Eglise. Le haut clergé géorgien redoute une « subordination » à l’Etat, jugée « inacceptable ».

Rêve géorgien a, enfin, formulé en des termes très vagues une promesse de restauration de l’intégrité territoriale du pays. « Le système de gouvernance et la structure territoriale du pays devront être révisés, ce qui ne peut se faire sans changements constitutionnels », a déclaré Bidzina Ivanichvili, sans détailler. Les troupes russes occupent 20 % du territoire depuis la guerre avec la Russie en 2008, qui a entériné la perte des provinces séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

Les autorités géorgiennes ont opéré un rapprochement spectaculaire avec Moscou depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, malgré une population à plus de 80 % pro-européenne, selon les sondages. La loi sur les agents de l’étranger, saluée chaleureusement à Moscou, oblige les ONG et médias touchant plus de 20 % de financements venus de l’étranger à s’enregistrer comme « organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère » auprès de l’Agence nationale du registre public.

Le délai pour s’enregistrer volontairement a expiré le 2 septembre. A cette date, 476 organisations avaient déposé une demande auprès du ministère de la justice, a annoncé Tamar Tkeshelashvili, la première vice-ministre. Depuis le 3 septembre 2024, le ministère a désormais le droit d’enregistrer de force d’autres ONG et médias, ainsi que d’imposer des amendes et de mener des activités dites de « surveillance » au sein des organisations.

« Le Rêve géorgien a cessé d’être un rêve et s’est transformé en cauchemar, éloignant la Géorgie de son objectif de longue date [l’intégration européenne] », a déploré le 2 septembre la présidente géorgienne, dont le rôle est essentiellement honorifique. Salomé Zourabichvili a condamné le discours de Bidzina Ivaninichvili, qui a non seulement « déclaré la guerre à nos partenaires et les a qualifiés de parti [mondial] de la guerre, mais a aussi déclaré la guerre à son propre peuple ». Le scrutin du 26 octobre sera « décisif », estime la présidente. Selon elle, ces élections seront l’équivalent d’un « référendum » entre « l’Europe ou la Russie », « la démocratie ou la dictature ».

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Des badauds flânent sur la promenade du front de mer. Les petites filles sont tirées à quatre épingles, la plupart des femmes portent un hidjab, parfois du dernier cri : vert mordoré ou imitation peau de lézard. De puissants canots pneumatiques à moteur surchargés de familles entières dessinent des arabesques autour des ferrys d’où s’échappe la musique tonitruante des stars égyptiennes Amr Diab ou Akram Hosny. Poupées, reproductions d’AK-47 et grand sabre made in China : les marchands de jouets pour enfants font recette. Ça pourrait être dans n’importe quel pays arabe, et pourtant, nous sommes à Saint-Jean-d’Acre dans le nord d’Israël, un jour d’Aïd el-Fitr qui marque la fin du ramadan. Les Gazaouis vivent sous les bombes à deux cents kilomètres de là. Ici on court, on joue, on rit, on s’interpelle.

Plus d’un citoyen israélien sur six, soit près de 1,7 million sur un total de 9,66 millions, est arabe (1). Les attaques du 7 octobre ont exacerbé les contrastes et les paradoxes de la situation que vivent les membres de cette communauté, qui se définissent souvent comme « Israéliens de citoyenneté mais Palestiniens d’identité ». Certains d’entre eux, bédouins pour la plupart, ont été tués ou pris en otage durant les raids du Hamas. D’autres ont joué un rôle décisif dans les secours (2). Pourtant leur malaise est grand face à la guerre contre Gaza — où beaucoup ont de la famille —, que leurs impôts financent.

On aurait pu penser que les Arabes israéliens — dénomination officielle à laquelle nombre d’entre eux préfèrent l’expression « Palestiniens d’Israël » — se mobiliseraient pour leurs frères vivant dans l’enclave, comme ce fut le cas lors de la seconde Intifada en 2000 ou lors du soulèvement de mai 2021. Mais, en fait, pas vraiment. « Bien sûr qu’on a voulu manifester mais on en a été empêchés, soutient Mme Aida Touma-Suleiman, députée de Saint-Jean-d’Acre et membre du Front démocratique pour la paix et l’égalité (Hadash, communiste). Nous nous étions rassemblés à vingt-cinq dirigeants pour défiler à Nazareth. Les voitures de police ont bloqué notre cortège dès l’entrée de la ville et six d’entre nous ont été arrêtés. » Parfois dénoncés par leurs collègues juifs, des centaines de citoyens arabes ont été interpellés par les forces spéciales de la police, interrogés, placés sous surveillance ou même incarcérés sans procès pour avoir posté sur les réseaux sociaux des critiques, un extrait du Coran, un appel à prier ou des photographies en solidarité avec les Gazaouis. Malgré son immunité parlementaire, Mme Touma-Suleiman, violemment attaquée par l’extrême droite, a été exclue de la Knesset pendant deux mois pour avoir, dit-elle, « cité des témoignages de médecins de l’hôpital d’Al-Shifa à propos du bombardement de l’hôpital, de la mort du personnel médical et de l’odeur de phosphore dans l’air ».

À Haïfa, M. Assaf Adiv, directeur exécutif du syndicat WAC-Maan, qui compte des adhérents arabes et juifs, cherche à expliquer une relative passivité : « Tout d’abord, ils ont peur. Ensuite, la majorité des membres de la communauté arabe estime que le Hamas est une force importante pour les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie occupée mais ils n’ont aucune envie de perdre leur citoyenneté israélienne et les avantages qui en découlent. » Soixante-quinze ans après la fondation de l’État israélien, « ceux de 48 », autre surnom des descendants des 160 000 Palestiniens restés sur leur terre, sont désormais dix fois plus nombreux. Et pour bien comprendre pourquoi leur existence pèse sur l’avenir du pays dont ils sont citoyens, un retour en arrière s’impose.

En 1948, devant la stratégie de terreur menée par les forces israéliennes, quelque 700 000 Palestiniens fuient ou sont expulsés de leur terre natale. « Deux des frères de mon grand-père sont morts durant la guerre de 1948. Lui est parti en Jordanie, d’où il a cependant pu revenir très vite ; mais ses terres lui avaient déjà été confisquées », raconte un militant du nord d’Israël qui préfère garder l’anonymat, dans cette période ultrasensible. À propos de cet exode, la Nakba (« catastrophe » en arabe), l’écrivain et député palestinien Émile Habibi évoquait un « événement qui a vidé nos esprits, effacé les souvenirs de notre mémoire et brouillé les contours de notre monde ». Cette « peur que cela se répète ne nous quitte jamais, pas un jour sans qu’on y pense », confie M. Basheer Karkabi, un cardiologue renommé de Haïfa. Elle détermine au quotidien jusqu’au comportement des Arabes israéliens. Le sentiment persiste que les autorités de Tel-Aviv n’ont jamais voulu l’égalité entre les citoyens.

La déclaration d’indépendance prononcée par David Ben Gourion, le 14 mai 1948, affirme certes que « l’État assurera une complète égalité des droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race et de sexe ». De fait, si le retour à la terre natale est interdit à ceux qui ont fui ou ont été chassés en 1948, et si, à la différence de la population juive, les Arabes israéliens vivent sous un régime d’administration militaire jusqu’en 1966, ils peuvent voter et se présenter aux élections. La Cour suprême — qui peut être saisie par tous les citoyens — protège ces droits. Le nouvel État, du reste, fait de l’arabe une langue officielle. Chaque communauté possède par ailleurs, comme sous l’Empire ottoman, sa propre juridiction pour les questions civiles (mariage, héritage et divorce) et religieuses — ce qui, dans les faits, fragmente une population arabe composée de musulmans (83 %), de Druzes (9 %) (soumis à la conscription, à la différence des autres) et de chrétiens (8 %)…

En droit, un basculement intervient lorsqu’en 2018 le premier ministre Benyamin Netanyahou fait voter une loi fondamentale définissant « Israël comme l’État-nation du peuple juif ». L’esprit « égalitaire » de la déclaration de 1948 semble ainsi annihilé. Le « développement de l’implantation juive » devient « une cause nationale » à promouvoir. La langue arabe, jusqu’alors officielle, ne bénéficie plus que d’un simple « statut spécial ». Saisie, la Cour suprême valide ces dispositions. Selon elle, la loi ne méconnaît pas le principe d’égalité dès lors qu’elle ne retire aucun droit aux non-Juifs.

Son adoption incite tout de même les Arabes israéliens à se joindre au « soulèvement pour la dignité » de mai 2021. Né à Jérusalem, le mouvement fait tache d’huile dans les territoires occupés et les villes mixtes en Israël. En première ligne, Lod, au sud-est de Tel-Aviv. Deux manifestants arabes y sont tués ainsi qu’un Juif. L’état d’urgence est décrété dans cette ville de 83 000 habitants dont 30 % sont d’origine palestinienne. Un « tournant », aux yeux de Mme Fida Shehade, conseillère municipale pendant cinq ans et témoin de la « radicalisation des Juifs suprémacistes de droite, armés par leur ministre [Itamar] Ben-Gvir [chargé de la sécurité nationale], qui multiplient les exactions, incendient [leurs] maisons et voitures sur fond de corruption, de trafic de drogue et d’armes ». Ces extrémistes ont pour mission de « judaïser » la ville avec le renfort de colons venus de Cisjordanie occupée. Marginalisée au sein de l’équipe municipale, Mme Shehade a choisi de ne pas se représenter aux élections locales de février 2024. Et, par précaution, elle a installé huit caméras de surveillance autour de sa maison.

La féministe qu’elle est n’a cependant pas renoncé à s’engager. Elle privilégie désormais le militantisme associatif, contre le « système patriarcal dominant ». Elle dit en effet avoir « perdu espoir à cause des hommes arabes qui ne s’engagent pas assez dans la politique ». Or, souligne- t-elle, « si vous ne pouvez pas parler de politique, vous parlez de religion ». Depuis au moins dix ans, « le registre islamique imprègne de plus en plus le nationalisme palestinien », confirme M. Semaan Ihab Bajjali, prêtre grec orthodoxe à l’église de l’Annonciation de Nazareth. Fondé en 1971, le Mouvement islamique compte désormais deux branches qui se disputent les faveurs de la communauté. La première, le Mouvement islamique « du nord », refuse un système politique dominé par les Israéliens et rejette toute participation électorale. « En 2015, notre mouvement a été interdit par les autorités, qui nous ont mis sous pression à tous les niveaux, social, politique et économique. Nous devions par exemple constamment payer de nouvelles taxes pour nos institutions, raconte le cheikh Saleh Lutfi, qui dirige un centre social à Umm Al-Fahm. Nos membres sont constamment interpellés et interrogés. Beaucoup d’entre eux sont en prison. Et depuis le 7 octobre, c’est pire. Les Israéliens ne nous traitent pas comme des citoyens, c’est une relation d’occupants à occupés. » Pour autant, reconnaît-il, « 20 % des mosquées sont financées par le gouvernement ». malgré soixante-quinze ans de cohabitation, seuls 5 % des juifs mariés le sont avec des non-juifs

La branche dite « du sud », Raam, participe, elle, aux élections. Dirigée par M. Mansour Abbas, elle a rejoint la Liste unifiée entre Arabes et Juifs (composée de candidats communistes du Hadash, de nationalistes du Taal et du Balad, et d’islamistes de Raam), qui obtient treize députés aux législatives de mars 2015 et devient la troisième formation à la Knesset derrière le Likoud et les travaillistes (3). Mais, en 2021, M. Abbas fait cavalier seul et quitte cette liste unifiée qui se sera maintenue bon an mal an près de sept ans. Les quatre députés de sa formation intègrent alors — c’est une première — la majorité parlementaire, une coalition hétéroclite allant d’un extrême à l’autre, mise sur pied par le premier ministre colon Naftali Bennett pour faire tomber M. Netanyahou. « Mansour Abbas admet volontiers des préoccupations communes avec les partis juifs religieux et la droite conservatrice, relève l’historien Jean-Pierre Filiu dans un récent ouvrage (4). Il s’inscrit dans la droite ligne de la Mujamma de Cheikh Yassine [une organisation caritative créée par le fondateur du Hamas à Gaza en 1973], qui préférait il y a un demi-siècle collaborer avec les autorités israéliennes plutôt qu’avec les nationalistes palestiniens. »

Les Arabes israéliens furent toutefois les grands absents des cortèges de 2023. Les centaines de milliers de manifestants juifs n’ont pas vraiment cherché à les inclure lorsqu’ils ont défilé contre le projet de réforme judiciaire de M. Netanyahou. Les Arabes n’ont pas non plus — ou très rarement — participé aux grands rassemblements qui ont suivi les attaques du 7 octobre pour obtenir la libération des otages et la démission du premier ministre. Cette discrétion n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans un long processus d’érosion qui affecte la participation de cette minorité à la vie électorale de son pays. Au plus haut, en 1955, 91 % de ses membres votaient ; au plus bas, en 2021, ils n’étaient plus que 44,6 %. Cela se ressent à la Knesset. Occupant jusqu’à quinze sièges, actuellement dix, ces députés arabes font montre d’une certaine impuissance à contrer les discriminations subies par leur électorat, en particulier dans le domaine foncier, clé de voûte du système de ségrégation appliqué aux Arabes israéliens.

Dans la petite ville de Maghar, depuis le toit-terrasse de la maison de M. Ayman Whip on dispose d’une vision d’ensemble. Au premier plan, les maisons du quartier. Puis une étendue de champs, dont certains propriétaires, arabes, ont été expropriés, tandis que d’autres se sont vus interdire d’y cultiver le zaatar (un mélange d’épices à base de thym) : afin que « les coopératives juives de la région [en] gardent l’exclusivité », selon la conseillère municipale druze Noha Bader ; pour « éviter la surexploitation anarchique des terres », selon un agronome juif israélien. Au troisième plan, sur le flanc de la colline rocheuse, des bulldozers creusent une large saignée de terre ocre. L’emplacement de la future route, qui mènera à son sommet et permettra d’accéder aux centaines de nouveaux logements pour des Juifs ceinturant Maghar et les villages environnants.

Mis sur pied dès la création d’Israël, le système juridique, complexe, décide de qui peut vivre où, et permet l’expropriation des descendants de « Palestiniens de 1948 ». Des centaines de localités ont ainsi été détruites et rayées de la carte. Leurs noms et populations judaïsés. Plus de 150 000 hectares ont été confisqués aux Arabes au profit des agglomérations juives. Toujours situées en surplomb des villages arabes dont Israël souhaite limiter le développement, ces constructions entravent toute perspective et s’imposent au regard, comme une présence définitive. En 1976, une grève générale pour protester contre l’expropriation de nouvelles terres et la dépossession de la population locale avait fait l’objet d’une sanglante répression. La police avait alors tué six manifestants arabes. Si chaque année, le 30 mars, la « journée de la terre » commémore ce drame, rien n’a vraiment changé. La prophétie formulée en 1980 par Itzhak Shamir — alors ministre des affaires étrangères — semble s’être réalisée : « La Galilée [région du nord d’Israël] ne sera pas la Galilée des goïm [“gentils”, ou non-juifs], mais celle des juifs (5). »

Du même toit-terrasse, en lisière de la ville, on aperçoit trois grandes et imposantes nouvelles maisons : des constructions illicites édifiées par des voisins arabes. « Voilà des années que les autorités refusaient de leur accorder un permis. La terre est très chère et il n’y en a quasiment pas à vendre. Alors ils ont décidé de passer outre. ‘‘Ce sont nos champs d’oliviers, on fait ce qu’on veut dessus’’, disent-ils, raconte M. Whip. Ils risquent de grosses amendes et surtout que les autorités donnent l’ordre de démolir. » Pour se prémunir, l’un des propriétaires a d’ailleurs déployé un large drapeau israélien sur la façade de la maison.

Les localités arabes manquent aussi de terrains pour construire des établissements scolaires. « Nous avons six écoles primaires, deux collèges et deux lycées. Le premier collège, nous l’avons construit sans autorisation car nous ne pouvions plus attendre ! », raconte Mme Bader, qui a fait de l’éducation la priorité de son mandat au conseil municipal de Maghar.

Pharmacienne, Mme Lamis Mousa est l’une des quatre Arabes (sur dix-sept membres) à siéger au conseil municipal de Nof HaGalil, la ville juive édifiée en surplomb de Nazareth. Elle y a acheté une maison, et d’autres familles de classes moyennes voire aisées l’ont rejointe au fil des années. Faute d’école arabe dans cette cité, « nous devons envoyer nos enfants chez les missionnaires de Nazareth et même, pour un petit nombre d’entre eux, dans les établissements arabes des villages environnants, explique Mme Mousa, car la demande d’ouvrir une structure adaptée aux besoins de la population arabe n’a pas été approuvée. Sans doute du fait d’une décision gouvernementale, en plus de la pression exercée sur le maire par les groupes racistes de la ville ».

Ce déficit d’écoles a aussi des implications pour les enseignants : chaque année, ce sont des centaines d’instituteurs et de professeurs arabes qui intègrent le système éducatif juif, où ils enseignent en hébreu. Ils constitueraient désormais 3 % du corps enseignant.

Une situation également paradoxale du côté des élèves car, explique M. Adiv, « d’un côté, depuis dix ans, nous avons un gouvernement de plus en plus à droite, qui exprime haut et fort sa haine des Arabes et menace de s’en débarrasser. D’un autre côté, ce même gouvernement a, sous la direction de Netanyahou, investi des milliards dans les infrastructures et l’éducation dans les communautés arabes, en atteignant un niveau d’investissement sans précédent de la part de n’importe quel gouvernement auparavant. Avant même l’adoption du “plan quinquennal 922” en 2016, l’État a élaboré un programme visant à promouvoir et à encourager l’intégration des étudiants arabes dans le système d’enseignement supérieur israélien (6) ».

Cela a permis de doubler le pourcentage de femmes d’origine palestinienne titulaires d’un premier diplôme en l’espace de dix ans. Beaucoup d’Israéliens parlent même de « révolution » dans l’enseignement supérieur. Malgré l’examen d’entrée à l’université en hébreu, toujours plus difficile pour les étudiants non hébréophones, la proportion de ces derniers préparant un premier diplôme dans les universités et autres établissements du supérieur israéliens a doublé, passant de 22 268 en 2010 à 47 936 en 2021, tandis que le nombre d’Arabes préparant un deuxième diplôme a plus que triplé, passant de 3 270 à 11 665 au cours de la même période. Un deuxième plan quinquennal, doté d’un budget de près de 10,8 milliards de dollars, a été adopté en 2021 par le gouvernement de MM. Bennett et Yaïr Lapid. « Mais à la suite de la guerre à Gaza, le gouvernement israélien actuel a procédé à des coupes dans le budget de l’État [en février 2024], dont des réductions disproportionnées sur les budgets alloués aux citoyens arabes », regrette M. Adiv.

Arabes et Juifs grandissent aujourd’hui dans des établissements séparés car le système éducatif primaire et secondaire se répartit selon quatre catégories : écoles publiques juives laïques (3 à 18 ans), écoles juives religieuses, écoles arabes, écoles ultraorthodoxes juives. Désormais, « c’est souvent à l’université qu’Arabes et Juifs se rencontrent pour la première fois », note M. Karkabi. Une enseignante à l’Université hébraïque de Jérusalem qui souhaite préserver son anonymat nuance : « Il y a peu d’interactions entre les étudiants juifs et arabes, et, depuis le 7 octobre, c’est encore plus marqué. » Malgré soixante-quinze années de cohabitation, seuls 5 % des Juifs mariés le sont avec des non-Juifs, un pourcentage qui monte à 42 % dans la diaspora (7). En 2015, au nom de la préservation de la « pureté juive », les autorités ont interdit aux lycées l’étude du roman hébreu de Dorit Rabinyan Gader Haya (Am Oved, Tel-Aviv, 2014) (8), qui raconte la liaison d’une Juive israélienne avec un Palestinien.

Enquêter sur la situation des Arabes en Israël, c’est rapidement entendre votre interlocuteur juif israélien invoquer un certain nombre de réussites individuelles : l’économiste Samer Haj-Yehia, qui pilote à Tel-Aviv le conseil d’administration de la banque Leumi depuis 2019 ; le juge Khaled Kabub à Jérusalem, qui siège aux côtés de quatorze pairs juifs à la Cour suprême ; ou encore Mme Mouna Maroun à Haïfa, première Arabe, chrétienne, élue rectrice d’une université israélienne. Derrière ces success stories, la réalité demeure cependant moins radieuse, malgré quelques progrès. Un système judiciaire parallèle dominé par des chefs tribaux et des cheikhs

En 2022, on estimait que 40 % des familles arabes en Israël vivaient sous le seuil de pauvreté. Et le fossé est grand entre le salaire moyen d’un Juif israélien, 14 035 shekels (3 467 euros) et celui d’un Arabe israélien (8 973 shekels). Rares sont les personnes d’origine palestinienne qui occupent des postes d’encadrement : en 2019, 4,9 % des hommes, contre 12,8 % côté juif (respectivement 2 % et 5,7 % pour les femmes) ; la représentation des Arabes dans les conseils d’administration des entreprises s’améliore, elle est passée de 1,2 % en 2000 à 12 % en 2018. De même, en vingt ans, le pourcentage de fonctionnaires arabes israéliens a triplé, passant de 4,8 % à 13,2 %. « Pour ce qui est de la santé et de l’université, on est plus ou moins à égalité, considère M. Karkabi, par exemple, il y a 25 à 30 % d’Arabes israéliens dans le corps médical et une forte présence aussi dans la police, mais tout ce qui touche directement ou indirectement à l’armée nous est barré. »

Aux inégalités de revenus et en matière d’accès aux postes de responsabilité s’ajoute une insécurité plus grande pour les citoyens israéliens d’origine palestinienne. En 2023, rapporte l’organisation pour l’égalité des droits Abraham Initiatives, 222 parmi eux ont été tués, soit quasiment le double par rapport à 2020 (9). À la suite de la mort de son ami d’enfance, tombé sous une balle tirée à bout portant dans leur ville natale de Lod, le rappeur et militant Tamer Nafar a sorti un tube, Go There, sur le thème de la violence et de la criminalité dans sa propre communauté. Depuis 2000, on estime à 1 574 le nombre d’Arabes israéliens tués, 68 par la police et 1 506 par d’autres citoyens arabes. Deux tiers de ces drames résultent de luttes entre organisations criminelles ou de vendettas entre clans et familles. Seuls 10 % des incidents criminels entre Arabes donnent lieu à des enquêtes de police et très peu d’entre eux aboutissent à la traduction en justice d’un suspect.

La négligence des forces de l’ordre se combine à une autre explication, selon M. Adiv : « La nette tendance de la population arabe à s’isoler de l’État. Ce phénomène s’est accentué après la seconde Intifada, à partir de l’année 2000. Il a permis la création d’un système judiciaire parallèle, dominé par des chefs tribaux ou des cheikhs, et fondé sur l’idée, au cœur des forces militantes nationalistes et islamiques qui dominent la rue depuis deux décennies, que ceux qui collaborent avec la police ne font plus partie de notre communauté. »

Pour prendre le pouls de la communauté arabe, il faut aussi se déplacer à Haïfa, souvent présentée comme un exemple de coexistence entre citoyens juifs et d’origine palestinienne. À quelque cent quarante kilomètres à vol d’oiseau de la frontière libanaise, la ville est à portée des tirs de roquettes du Hezbollah, qui se multiplient ces derniers mois. Plusieurs centaines d’habitants, Arabes et Juifs, ont, ensemble, entrepris de faire l’inventaire des abris, de les inspecter et de les remettre en état. « Le 7 octobre n’a pas fait exploser le modèle de Haïfa, qui n’était tout de même pas idéal avant, juge M. Karkabi, membre du forum « Haïfa for us all » (« Haïfa pour nous tous »), mais il a abîmé ceux qui avaient foi dans la coexistence. » Des parents juifs ont notamment retiré leurs enfants du projet expérimental d’école mixte (financé à 90 % par l’État, à 10 % par les parents), dont il n’existe que trois unités dans le pays.

Début juin, M. Yona Yahav, le nouveau maire (ex-travailliste) de la ville, a suggéré aux manifestants arabes d’aller défiler à Jérusalem plutôt qu’à Haïfa afin de ne pas perturber la tranquillité de sa cité ; et, au lieu de blâmer le comportement brutal de la police, il a accusé les manifestants de scander des slogans anti-israéliens. En réponse de quoi M. Karkabi ainsi que trente autres citoyens (juifs et arabes) ont signé une lettre publique dénonçant cette prise de position. Le cardiologue le déplore, « 7 octobre ou pas, au niveau national, l’ensemble du spectre politique penche de plus en plus à droite et je crains que cela n’épargne pas Haïfa ».

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